Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/745

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

républicaine. L’élément germanique est en présence de l’élément roman ou italien, et les cantons fortement marqués de l’empreinte protestante sont les voisins de ces vieux cantons catholiques, fidèles gardiens de la foi de leurs pères, qui, non contens de fournir la garde du corps de la papauté, l’entourent d’un attachement fidèle et passionné. Après les grandes luttes du XVIe siècle, qui en Suisse, comme en Allemagne et en France, entrechoquèrent les idées sur les champs de bataille, un ordre nouveau cimenté par le sang répandu surgit et se consolida. La paix religieuse résulta partout de l’immense lassitude du monde et de l’équilibre des forces dans les deux camps. La foi nouvelle eut ses frontières qu’elle dut respecter. Le temps des Farel et des Viret, de ces tribuns aussi dévoués à leur croyance qu’ardens à la défendre par des harangues enflammées, était passé. Les baillis de Berne n’avaient plus le droit de suivre de ville en ville les réformateurs pour constituer d’office le nouveau culte. Chaque confession demeura chez elle, le torrent si impétueux au XVIe siècle, et qui ne connaissait pas de rivages, était endigué et ne débordait plus. Les petits cantons pouvaient, comme états souverains, maintenir dans toute leur pureté leurs antiques croyances, tandis que la réforme, dominant à Zurich et à Berne, trouvait à Genève sa place de sûreté, sa ville de refuge où affluaient les proscrits de Louis XIV. Cette cité, petite alors, si on la comparait aux glandes capitales européennes, restera à jamais glorieuse comme l’asile de la liberté de conscience et le foyer d’une vie religieuse austère et puissante. Elle était bien cette « ville située sur la montagne » dont parle l’Écriture, qui fait resplendir sur le monde une grande idée. Pendant deux siècles, la Suisse conserva la paix religieuse. Le XVIIIe siècle avait porté ailleurs que dans les luttes confessionnelles l’ardeur de l’esprit humain, et néanmoins il devait les rallumer sous l’influence de la révolution française. Notre époque était destinée à les raviver à son tour : elles durent leur vivacité nouvelle en Suisse à deux causes qui remontent l’une et l’autre au grand et terrible mouvement qui avait mis fin à l’ancienne société.

La première de ces causes est toute religieuse; c’est le développement d’un nouvel ultramontanisme qui s’est mis en guerre ouverte avec la société moderne. La seconde cause est essentiellement politique; elle tient à la transformation profonde apportée depuis 1848 à la constitution fédérale. On sait que celle-ci a fait une part très large à la centralisation gouvernementale en substituant à l’ancienne diète deux conseils, le conseil national, représentant directement le peuple dans la proportion d’un député par 100,000 habitans, et le conseil des états, nommé à raison de deux députés