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légitime des églises l’empêcheront de mettre un terme aux conflits existans sans éviter les nouveaux.

Le conseil national, avant de se séparer, a vu encore éclater un débat très passionné à l’occasion des questions confessionnelles. On apprit tout à coup en Suisse, vers la fin de janvier, qu’on faisait circuler un appel aux puissances signataires du congrès de Vienne, qui les pressait d’intervenir pour maintenir le droit des ultramontains. Un ballot de ce factum violent avait été saisi chez l’abbé Collet, prêtre français établi à Genève, et on avait constaté en même temps qu’un Anglais, M. Urquart, demeurant à Montreux, en avait reçu quelques exemplaires. L’émotion fut grande; elle se calma quelque peu quand on apprit que l’appel était dû à la plume d’un curé français, l’abbé Defourny, curé de Beaumont en Argonne, qui avait inventé à lui tout seul cette petite machine de guerre. L’abbé Collet fut expulsé d’après la loi qui permet en tout pays de conduire aux frontières les étrangers qui troublent la paix publique. Un incident très fâcheux vint donner à la discussion une gravité inattendue; un document fut produit qui prouvait qu’en 1852 M. Vuilleret, député du canton de Fribourg, alors simple avocat, avait adressé un mémoire à Napoléon III sur les affaires confessionnelles, pour le moins aussi violent que celui du curé français. L’assemblée vota un ordre du jour très sévère pour un acte aussi coupable et mal excusé après un éloquent discours de M. Cérésole. Les citations qu’il fit de la presse ultramontaine à Fribourg établirent que quelques enfans perdus du parti, désavoués par tout ce que le catholicisme suisse compte d’honorable et d’éminent, ne craignaient pas de soutenir la légitimité de l’intervention. La Suisse a eu le bon sens de ne pas exagérer l’incident et de laisser à la charge d’un individu isolé ce ridicule appel à l’intervention étrangère. Elle sait que, s’il est en France des têtes folles et exaltées qui troubleraient volontiers la paix du monde pour le plus grand péril de leur patrie en prêchant la croisade de l’ultramontanisme, on est de plus en plus convaincu, même dans les rangs de la majorité de l’assemblée nationale, que de pareilles opinions ne méritent pas d’être prises au sérieux.

Peu de temps après l’allocution du pape prononcée dans le consistoire tenu au commencement de cette année, où la Suisse était fort sévèrement traitée, la nonciature, que le conseil fédéral n’avait point abolie en droit dans le projet de constitution, l’a été en fait; ses passeports ont été remis au nonce. Cette rupture formelle entre la confédération et la cour de Rome fait mesurer la gravité de la crise ecclésiastique que nous avons essayé de caractériser.

Cette crise, rapprochée de celle qui a éclaté dans l’empire d’Allemagne,