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Juifs convertis par les apôtres et des Grecs convertis par saint Paul. Or les Grecs ne brûlaient les cadavres qu’en temps de peste ou après les batailles, et la vallée de Josaphat nous prouve que les Hébreux enterraient leurs morts. L’église a respecté et consacré par l’usage les coutumes de ses premiers enfans, coutumes auxquelles ceux-ci devaient d’autant plus tenir qu’elles étaient en contradiction avec celles des Romains, qui les ont si durement persécutés, — et puis saint Paul a dit que nos corps sont les membres de Jésus-Christ et les temples saints de l’esprit de Dieu. Cela fait comprendre l’opposition de l’église, comme les nécessités des investigations pour faits criminels expliquent celle de la magistrature. Ce serait cependant un mode de disparaître supérieur à celui qui nous est imposé. Il vaut mieux s’en aller en fumée, devenir un peu de cendres, que de finir par être cette chose sans nom que la science elle-même ne sait comment désigner.

Puisque l’incinération est interdite, et que nos cimetières gorgés, trop étroits, mal situés, en contradiction flagrante avec la loi, sont insuffisans, il faut courir au plus pressé et se débarrasser de nos morts, qui vont être un danger public, si l’on ne se hâte pas de leur créer la nécropole dont nous avons besoin. Si, au commencement du siècle, des moyens de transport et de locomotion imparfaits ont contraint l’administration municipale à ouvrir les cimetières à la porte même de Paris, il n’en est plus ainsi de nos jours : un chemin de fer fait dix lieues pendant qu’un corbillard franchit la distance qui sépare la Madeleine de Saint-Ouen. En outre Paris n’a pas de territoire, il ne possède que lui-même; les terrains qui l’entourent sont, pour la plupart, couverts de maisons de campagne et ont une valeur excessive. C’est donc au loin et à l’aide d’un railway qu’il faut aller chercher notre cimetière futur. Cette idée a déjà été émise ; elle a fait du bruit en son temps ; M. Haussmann avait voulu la mettre à exécution, mais les modifications survenues dans le gouvernement l’empêchèrent de suivre son projet jusqu’au bout, et les administrateurs qui ont passé à la préfecture de la Seine ont été empêchés de le reprendre par suite des circonstances douloureuses que l’on sait. La résistance soulevée par la translation de nos cimetières fut sans mesure et dépassa le but. C’était une arme d’opposition; chacun s’en empara. Sur cette question, où il est si facile de faire de la sentimentalité, on cria au sacrilège, et sous prétexte de respecter les morts on se souciait fort peu du salut des vivans. La politique saisit l’occasion avec empressement, et beaucoup de provinciaux dont les parens étaient inhumés dans les départemens déclarèrent solennellement qu’en touchant au Père-Lachaise, à Montparnasse et à Montmartre, on allait violer la sépulture de leurs familles.