Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/920

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étaient accueillis dans les ports de France, ils étaient sévèrement repoussés de nos établissemens lointains ; ceux-ci n’eurent de commerce qu’avec la France, et par des navires français. Comme tout l’effet du pacte colonial eût été perdu, si les habitans de la métropole avaient fait leurs achats hors du pays, ils furent contraints d’acheter aux fabricans leurs compatriotes par l’élévation des droits qu’on mit sur les marchandises étrangères. Ainsi grandit une industrie qui ne pouvait se passer des colonies, et, puisque celles-ci avaient besoin des navires français, la marine eut sa part de cette prospérité. Seulement ce régime, funeste aux colonies, exploitait des conquêtes récentes au point de compromettre l’avenir; s’il avait l’avantage de clore une époque de désordre, il ne préparait pas une ère de liberté. On réservait un beau domaine à la marine française, on ne lui ouvrait pas le monde entier. Partout les arrangemens des particuliers devaient céder à l’intérêt de l’état, qui entrait dans les moindres détails et réglait jusqu’aux vivres des matelots.

Au contraire, c’est le propre de l’Angleterre de subordonner sa politique aux intérêts du commerce et de sacrifier à propos une partie de ses avantages. Au XVIIe siècle, elle voulut prendre la succession de la Hollande. Elle ne se contentait point d’exploiter ses propres richesses ou celles de ses colonies, il lui fallait posséder toute la mer. Au lieu des sages tempéramens par lesquels Colbert balançait les industries diverses, Cromwell sacrifia tout à la marine, et donna d’abord aux armateurs un monopole complet qui bannit des ports anglais les navires étrangers. Si l’Angleterre eût tenu au continent comme la France, cette mesure eût énervé son commerce, qui se fût dégoûté de la mer et des armateurs; ceux-ci auraient exploité paisiblement les colonies, et l’activité de la nation se fût tournée vers les affaires intérieures; mais dans un pays où l’on n’a d’autre issue que la mer, cette violence même que l’on fit au gros de la nation la jeta hors de ses frontières et l’obligea d’étendre ses colonies, qui étaient sa plus grande ressource. Elle eut le bonheur de ne pas se suffire à elle-même, tandis que la France avait de quoi se contenter. Par les armes, par la diplomatie, par des expéditions qui se continuèrent pendant tout le XVIIIe siècle, elle se forma un empire colonial, le plus beau du monde. C’était une vaste réserve dont il lui restait à tirer parti. À cette époque, la France, qui perdait l’empire de la mer et ses meilleures colonies, grâce à l’insouciance de ses princes, gardait encore l’avantage pour le commerce et l’industrie; mais l’Angleterre, avec de tels débouchés, pouvait fonder sa puissance commerciale sans le concours des autres peuples. Débarrassée de ses rivaux par la révolution française, protégée