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passagers, mais sur les lois durables de l’échange et de la production. Les réformes de la marine ne furent pas moins fécondes : en 1849, on invita les armateurs à ne compter que sur eux-mêmes. Dépouillés de leur privilège, ils luttèrent d’industrie et non de tarifs. Au bout de dix ans, le chiffre de leurs affaires avait doublé.

Avec de tels principes, si la rivalité continua entre l’Amérique et l’Angleterre, elle n’eut point pour effet de fortifier l’une aux dépens de l’autre. Les deux marines ne cessèrent de prospérer, car le monde était assez grand pour les contenir ensemble. L’Amérique changeait la forme de ses vaisseaux suivant le besoin : elle en avait de très grands, qui portaient d’un seul voyage des montagnes de coton, et rachetaient par cet avantage l’inconvénient de revenir sur lest. Elle en avait de très petits, manœuvrés par sept hommes, de fins voiliers, lestes et rapides, pour les moindres opérations. Quand la vapeur fit voir le prix de la vitesse, la marine à voiles sortit de la routine : elle abattit ces lourds gaillards que la tradition attachait aux extrémités du navire et qui en ralentissaient la marche. Les Américains allongèrent la coque, et donnèrent ainsi plus de volume avec plus de vitesse. Ce fut une course que gagnèrent les Anglais, grâce au fer qu’ils firent entrer dans leur charpente : ils purent ainsi donner une longueur qui, à charge égale, romprait le bois. L’Angleterre avait le fer en abondance, l’Amérique n’avait que ses bois. Enfin la prépondérance était incertaine, quand la guerre civile vint brouiller les affaires de l’Amérique : l’Angleterre apprit à se passer d’elle et envoya ses navires chercher aux Indes le coton qu’on lui refusait. C’est un coup dont les États-Unis souffrent encore; leur marine n’est pas ce qu’elle était avant la guerre. Ils essaient à leur tour de se passer de l’Europe. Ils élèvent une barrière de douanes pour protéger leur industrie naissante; mais cette entreprise, qui est fort risquée, doit d’abord leur coûter leur marine, car ils n’ont pas, comme l’Angleterre au temps de Pitt, la ressource de la faire naviguer vers des colonies lointaines. Toutefois l’Amérique a contribué plus qu’aucun peuple à faire prévaloir les vrais principes : on vit enfin que l’intérêt de la marine marchande n’était pas tout entier dans les armemens. L’empire de la mer était passé d’abord du capitaine à l’armateur, qui à son tour devait ses dernières victoires tantôt à l’habileté du constructeur, tantôt aux vastes conceptions du commerçant. Entre tant de gens qui se disputaient la suprématie, il parut puéril de décider d’avance, par un coup d’autorité, quel serait le plus fort. Les franchises de la mer consistèrent à laisser le champ libre aux compétitions. On tint la balance égale, non pas en favorisant toutes les industries, comme