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ou chargés de colis si minces que les bateaux s’en vont la quille hors de l’eau?

Il y a quelque chose de fondé dans ces plaintes, si l’on règle ses comparaisons sur l’Angleterre. Un seul exemple suffira : l’Angleterre exporte 12 millions de tonnes de charbon qui valent 125 millions de francs. Nos vins, pour une valeur presque triple, soit 350 millions, n’occupent sur nos vaisseaux que 4 ou 500,000 tonneaux d’affrétement. Ainsi le vin de France rapporte plus que toute la houille d’Angleterre à ceux qui le vendent; mais il n’occupe qu’un navire français pour vingt-cinq navires anglais qui sortent chargés de houille. Toutefois nos armateurs se trompent sur les conséquences : cela ne prouve pas que la marine française doive être à sa voisine comme 1 est à 25. Les produits que donne la nature ne sont pas le seul élément de fret, ni même le principal. Ils sont précieux sans doute, et c’est un fonds excellent qui a surtout l’avantage de la régularité, il faut s’applaudir d’en avoir, si peu que ce soit; nos produits agricoles, qui font la moitié de notre exportation, ont un mérite durable, tandis que l’Angleterre pourra bien exporter moins de houille le jour où l’on ouvrira les gisemens de Chine, d’Amérique, d’Australie et des Indes; enfin la grande source du fret est dans l’industrie nationale, et c’est une source qu’on peut augmenter presque indéfiniment. Il court sur notre industrie des bruits fâcheux et injustes; malgré l’appât du bon marché, la façon a sa valeur dans le monde; d’ailleurs nos négocians ont prouvé qu’ils savaient varier leurs produits selon la nécessité. Le même homme qui peut contenter le choix difficile du riche est assez clairvoyant pour satisfaire le pauvre; seulement donnez-lui les moyens de connaître son public. Une maxime qu’on paraît oublier, c’est que la force de l’industrie se règle sur le nombre et les besoins des consommateurs. Tant que la nôtre a produit pour les seuls Français, elle a eu les mêmes limites que les goûts et les besoins français. On sait comment notre histoire nous ferma les grands débouchés : maintenant que l’on travaille pour toutes les parties du monde, il serait temps de quitter ces vieux préjugés sur le caractère de la production. Ce n’est pas assez d’attendre patiemment dans les ports le trop-plein de la France. Tout l’intérêt de la marine est au-delà des mers; pour obtenir du fret de nos fabriques, elle doit s’informer des antipodes.

Il a fallu très longtemps pour comprendre qu’on pouvait envoyer des marchandises d’Europe dans ces pays lointains qui en fournissaient tant et de si belles. On a d’abord été ébloui des richesses du Nouveau-Monde, et le navire, entraîné par l’espoir d’un retour opulent, n’emportait guère que des vivres au départ et un peu de clinquant qui servait à la troque. Si depuis on a fait le commerce régulier