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avec les colonies, le stimulant du long cours a toujours été de rapporter vers l’Europe les produits exotiques. Combien de Français pensent que la navigation se fait encore ainsi, et qu’il suffit de partir avec une pacotille pour faire fortune! C’est une idée moderne, et pour ainsi dire toute neuve, de considérer partout les indigènes comme des hommes qui ont des besoins, et qui consomment : double bénéfice pour les navires qui répandent nos produits avant de prélever le tribut accoutumé. Voilà l’Europe engagée, pour mettre en équilibre le budget de sa marine, à élever peu à peu les tribus errantes à la condition d’hommes : plus elle leur donnera des goûts semblables aux nôtres, plus elle sera sûre d’écouler avantageusement ses marchandises. L’intérêt bien entendu aide la civilisation, parce qu’il est éclairé par des motifs supérieurs. Toutefois, pour se prêter aux besoins des peuples, on n’a pas le droit de favoriser leurs vices : on ne comprend pas que l’Angleterre continue de fournir l’opium aux Chinois et soutienne avec les armes cet infâme trafic. La loi du commerce est-elle une excuse?

Le véritable intérêt ordonne de relever les peuples abâtardis et non d’augmenter leur abrutissement : une fois réveillés, ils veulent connaître les arts de l’Europe, ils cherchent à l’imiter; le fer et le charbon sont accueillis dans leurs ports, mais aussi les produits délicats et surtout les tissus. C’est toujours par le vêtement que commence la civilisation, et ce sont des vêtemens plus ou moins grossiers qui ont formé jusqu’ici le meilleur fret de sortie. On pourrait diviser les peuples d’outre-mer en trois classes : les uns, encore à demi sauvages, n’ont que des besoins naissans; dès qu’ils comprennent le commerce régulier, ils pensent d’abord à se vêtir. Les autres ont une civilisation avancée, comme les Chinois, les Japonais ou les Indiens : l’avenir montrera s’il vaut mieux les réduire par la force ou nouer avec eux des relations pacifiques qui les rapprochent peu à peu de l’Occident. Enfin les derniers ont les mœurs de l’Europe, comme les Américains, et sont avec nous sur le pied de l’égalité. L’Amérique, malgré ses tarifs de douane, a plus de commerce avec l’Europe que toutes les autres parties du monde, tant il est vrai que l’échange, pour être parfait, veut des termes qui se répondent. C’est à ce point qu’il nous convient d’amener les peuples inférieurs pour le plus grand bien de notre marine.


III.

On gagne à dominer un peu les intérêts du jour avant de les juger. Il semble qu’on aperçoive plus clairement l’enchaînement des