Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/978

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
972
REVUE DES DEUX MONDES.

Qu’on cesse donc de voir des prétextes là où il n’y en a pas, et si l’Allemagne éprouve comme un sentiment d’inquiétude dans ses grandeurs nouvelles, qu’elle n’en cherche le secret que dans l’impatience de domination qui l’entraîne, dans une politique qu’elle est seule à pratiquer aujourd’hui, à laquelle M. de Bismarck a vainement essayé de rallier l’Autriche et l’Italie.

On raconte qu’un certain jour du printemps de 1870 le prince de Hohenzollern, alors candidat secret au trône d’Espagne, s’était rendu chez le roi Guillaume, qui le détournait de courir cette aventure. Le jeune prince, au sortir de l’audience royale, allait chez M. de Bismarck, qui l’encourageait très fort au contraire et montrait même quelque irrévérence à l’égard des scrupules de son souverain. « Allez, disait-il, un sous-lieutenant n’a pas tous les jours l’occasion d’accepter une couronne. » M. de Bismarck, sans regretter son audace et ce qu’il a fait pour aider au succès d’une combinaison qu’il prétendait ignorer, M. de Bismarck a peut-être été heureux plus tard que les choses aient autrement tourné. Il a eu le bénéfice des événemens nés de cette candidature, et il n’a point eu à soutenir un prince prussien à Madrid ou à dévorer l’ennui d’un échec. Il est infiniment vraisemblable que le prince de Hohenzollern aurait eu le sort du roi Amédée. Quant à l’Espagne, elle avait toujours la chance d’arriver là où elle est aujourd’hui, — à la guerre civile. C’est là en effet la grande question au-delà des Pyrénées. La guerre entre carlistes et libéraux, après avoir passé depuis deux ans par toutes les péripéties, a fini par se concentrer dans un duel violent, sanglant, entre deux armées autour de Bilbao. C’est le dernier mot de la révolution de 1868, de cette révolution qui a ruiné l’Espagne, qui lui a fait perdre à peu près l’île de Cuba, qui lui a donné une constitution radicale, une royauté démocratique impossible, la république, les insurrections communistes, un certain nombre de coups d’État dans l’intervalle, et qui paraît aboutir à l’impuissance d’une armée régulière devant les retranchemens élevés par les carlistes pour couvrir le siège de Bilbao.

L’insurrection carliste a immensément profité sans nul doute de cette succession de crises intérieures. Il y a eu un moment où elle était à peu près libre, et elle a pu se développer dans les provinces du nord, en Catalogne, du côté de Valence, jusqu’à Almansa, où une bande est entrée pour rançonner la ville. Les chefs carlistes, Saballs, Tristany, se promènent en maîtres dans la plus grande partie de la Catalogne, Ils bloquent les villes qu’ils ne prennent pas, ils font sonner les cloches sur leur passage, ils tiennent le pays, et récemment ils prenaient d’un coup de filet une colonne tout entière envoyée contre eux, général en tête. Les commandans militaires ont été plusieurs fois renouvelés, le résultat est toujours le même ; mais ce n’est pas là que la lutte la plus sérieuse est engagée pour le moment : elle est dans les provinces basques, où le