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entrevoir et où l’on court tête baissée, les yeux fermés. Obsessions politiques, incohérence des mouvemens militaires, conflits de direction, malentendus, contre-temps, tout se réunit pour faire de cette armée nouvelle, la dernière qui reste pour l’instant à la France, la victime expiatoire d’une situation déjà plus qu’à demi perdue, pour précipiter une catastrophe qui d’un seul coup dépasse toutes les catastrophes connues, Azincourt et Waterloo ; oui, plus que Waterloo et Azincourt, — Sedan, pour tout dire, Sedan, la tragédie militaire qui est tout à la fois le dernier mot de cette phase de la guerre par l’empire et le prélude d’une révolution politique, de la chute de Metz, du siège de Paris, de l’invasion répandue jusqu’à la Loire, jusqu’au cœur de la France. Comment cette tragédie s’accomplit-elle après vingt-cinq jours de campagne, moins de quinze jours après Rezonville et Saint-Privat ?


I

Au moment où sur les hauteurs de Metz expiraient les derniers feux de la bataille de Rezonville, le soir du 16 août, l’empereur, parti le matin de Gravelotte, débarquait à Châlons, après avoir traversé Verdun en fugitif, avec le prince impérial, le prince Napoléon et quelques-uns de ses officiers, sans soupçonner encore assurément que derrière lui toutes les communications allaient se fermer. Au même instant arrivait de son côté le général Trochu, qui, après bien des incertitudes et des changemens de destination, venait prendre le commandement du 12e corps en formation au camp et s’était fait précéder dans la journée de son chef d’état-major, le général Schmitz. Pendant la nuit du 16 au 17 survenait à son tour le maréchal de Mac-Mahon, achevant la pénible retraite qu’il poursuivait depuis Frœschviller, qui l’avait un moment rejeté jusque vers Chaumont. Les uns et les autres arrivaient soucieux, préoccupés d’une situation qu’ils voyaient hérissée de difficultés et de périls, même avant de la connaître tout entière. Ce qu’ils avaient sous les yeux n’était guère de nature à les rassurer. Ce camp où ils se rencontraient à l’improviste, où naguère encore les parades officielles se déployaient dans toute leur régularité, ce camp n’était plus pour l’instant, selon le mot d’un chef militaire, qu’une sorte de plage où l’on venait échouer, où se confondaient au hasard des troupes venant de tous côtés : soldats de Frœschviller et de Wissembourg, plus délabrés, plus défaits, que s’ils avaient supporté six mois de guerre, — isolés et débandés, courant par milliers, se livrant au désordre et à la licence, gardes mobiles parisiens, au nombre de 18,000 hommes, agitant le camp de leur remuante indiscipline. La veille, ayant de quitter Paris, le général Trochu écrivait : « Je me rends au camp de Châlons, où il est