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il ne connaissait ni la position, ni les ressources, ni les intentions. Il portait dans son camp un empereur qui ne commandait plus, d’est vrai, qui ne restait pas moins un embarras. On prétendait lui donner à exécuter une opération qu’il croyait compromettante, impossible, avec une armée dont il n’ignorait pas les faiblesses, en présence d’un ennemi dont il venait d’éprouver la puissance. Son sentiment militaire, sa raison, le ramenaient vers Paris, et, puisqu’il pensait ainsi, il aurait dû, dit-on, résister à toutes les obsessions, refuser de se prêter à des combinaisons dont il voyait le péril. C’est possible ; mais, d’un autre côté, on ne cessait de faire peser sur lui les responsabilités les plus redoutables, la perte de Metz et de l’armée du Rhin, les événemens qui pouvaient éclater à Paris. Lui-même, dans ses délibérations intimes, il n’était pas insensible à la gravité des choses. « Abandonner Bazaine, a-t-il dit, me causait un véritable déchirement. » Au dernier moment enfin, lorsqu’il aurait eu l’intérêt le plus pressant à ne rien ignorer, un élément essentiel de décision lui manquait ; la dépêche qui aurait pu le mieux l’éclairer lui restait inconnue.

Tout est lutte et contradiction, et c’est de cet ensemble de circonstances obscures, tourmentées, que sort la résolution suprême qui, pour sauver l’armée de Metz, va perdre l’armée de Châlons, — que Mac-Mahon résume, non sans laisser entrevoir comme une dernière réserve, dans une dépêche expédiée à tout hasard au maréchal Bazaine : « Je marche dans la direction de Montmédy. Je serai après-demain sur l’Aisne, d’où j’opérerai suivant les circonstances pour venir à votre secours., »


III

C’en est donc fait, tout est décidé le 22, et le 23 au matin l’armée entière s’ébranle, un peu en désordre d’abord, mais avec l’élan et la bonne volonté que des soldats retrouvent bientôt quand ils vont en avant. Elle doit se porter le premier jour sur la Suippe, entre Saint-Masmes et Saint-Martin-L’Heureux, en pleine Champagne, puis sur l’Aisne. Le 5e et le 12e corps tiennent la gauche de l’armée, le 1er corps est au centre, le 7e corps forme l’aile droite, protégée par les cuirassiers de Bonnemains. La cavalerie de Margueritte, qui a escorté l’empereur le 16, au sortir des lignes françaises de Metz et qui n’a pu rejoindre l’armée du Rhin, est en avant vers Monthois, observant l’Argonne du côté de Grand-Pré. C’est là le point de départ. La direction générale est le passage de l’Argonne par le Chêne-Populeux, Vouziers, Grand-Pré, pour tomber sur la Meuse vers Stenay, où l’on touche à Montmédy.

Assurément, puisqu’on tentait l’aventure, il n’y avait plus qu’un