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nouveau. Trois fois ils recommencent, semant la terre de leurs morts, laissant dans la mêlée le général Tillard, le colonel Cliquot ; du 1er de chasseurs d’Afrique, les lieutenans-colonels de Gantès et de Linières, tués, le lieutenant-colonel Ramond, grièvement blessé, 22 officiers du 1er de hussards, tués ou blessés : ils ne peuvent arriver à rompre la ligne de fer qu’on leur oppose. Charges héroïques, mais impuissantes, qui vont arracher au roi Guillaume lui-même, placé sur les hauteurs de Frenois et contemplant le sanglant spectacle, ce cri significatif : « Oh ! les braves gens ! » En même temps que ces cavaliers se dévouent, l’artillerie du général Forgeot s’avance à son tour sur le plateau, ouvrant intrépidement son feu ; mais en peu d’instans les affûts sont brisés, les caissons sautent, deux batteries sont pulvérisées par le feu convergent de cinquante pièces ennemies. Ducrot enfin, ralliant les bataillons ou fractions de bataillons qu’il peut trouver, s’efforce d’enlever ses soldats par son impétueuse énergie. Les soldats le suivent d’abord, puis reculent accablés, et bientôt infanterie, cavalerie, artillerie, tout se mêle et se confond dans un désordre qui ne permet plus de rien entreprendre, qui est le signal de la débandade et de la fuite vers Sedan.

Douay, de son côté, ne reste pas inactif. Aux prises avec l’ennemi depuis le matin, mais surtout depuis onze heures, il tient tête de son mieux, bien qu’avec des forces diminuées de deux brigades, que Wimpfen, par une singulière inspiration, lui a demandées pour secourir le général Lebrun, et qui dès ce moment se trouvent perdues pour Douay sans pouvoir arriver à Lebrun. Pour le 7e corps, l’occupation d’Illy est une condition de sûreté et de salut. Aussi, dès qu’il voit la position menacée et abandonnée, Douay, sans hésiter, se hâte de former une colonne pour essayer de la reprendre. Une première fois il croit avoir touché le but lorsque son infanterie, saisie de panique, se replie précipitamment. Une seconde fois il revient à la charge, secondé par tous ceux qui l’entourent, se multipliant pour raffermir ses hommes. Il a presque réussi un instant, les troupes ramenées sur le plateau ne se laissent pas ébranler d’abord, l’artillerie arrive et se met courageusement en batterie ; mais bientôt rien ne peut plus résister, tout plie ; c’en est fait, la position est définitivement perdue. Il est deux heures ; avant qu’une heure soit écoulée, la garde prussienne arrivera sur Illy, rejoignant le XIe, le Ve corps, et le cercle sera fermé ! À ce moment, quelle est la situation ? Le 1er et le 7e corps français n’existent plus, on peut le dire ; ce ne sont que des masses éperdues, décomposées, n’écoutant plus leurs chefs, se dérobant sous les obus qui sillonnent le plateau de toutes parts, et se jetant comme un torrent vers la place, où s’accumulent depuis le matin les fuyards, les déserteurs du champ de bataille. Le 12e corps, après sa vigoureuse résistance à Bazeilles