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sez-vous la grande nouvelle ? M. le comte de Chambord est arrivé ou est sur le point d’arriver à Versailles, — sans doute pour s’installer à la préfecture ou au palais pendant que M. le maréchal de Mac-Mahon est à Paris, visitant paisiblement l’exposition de peinture organisée par M. le comte d’Haussonville pour venir en aide aux Alsaciens-Lorrains ! Ainsi vont les choses, et, puisque les grandes questions sont en suspens jusqu’au retour de l’assemblée, puisqu’il n’y a rien de mieux, c’est bien le moins que chaque matin et chaque soir on recommence, avec des subtilités toujours nouvelles, l’éternel débat : il s’agit de savoir comment il faut entendre la loi du 20 novembre, quelle différence il y a entre la « prorogation des pouvoirs » et le « septennat ; » il s’agit de distinguer, de peser des mots, de sonder les mystères d’une syllabe merveilleuse qui heureusement sauve tout, qui est le dernier espoir de la France. Rien n’est perdu, les casuistes veillent et sont à l’œuvre. On dirait que les premiers rayons du printemps les émoustillent et mettent leur imagination en verve.

Cependant le pays ne s’intéresse guère à toutes ces subtilités agitatrices dont on s’obstine à l’assourdir. Il mène aujourd’hui comme hier sa vie tranquille et laborieuse. Il paie ses impôts sans résister, puisque les recettes du premier trimestre de l’année atteignent à 1 million près les évaluations du budget, et que les nouveaux impôts rentrent comme les autres, dépassant même un peu les prévisions. Il travaille et fait bonne contenance dans les transactions du monde, puisque dans les trois derniers mois, malgré une crise d’incertitude, son commerce atteint un chiffre d’importation de 925 millions et un chiffre d’exportation de 856 millions, qui représente un mouvement d’affaires inférieur à celui de 1873, mais supérieur encore à celui des années qui ont précédé la guerre. Le pays vit et travaille, étranger aux cabales, aux brigues et aux passions de parti, et tout ce qu’il demande à ceux qui prétendent le guider, à ceux qui se servent toujours de son nom, c’est de ne pas jouer avec sa sécurité et ses intérêts, de ne pas lui disputer les plus simples conditions d’une existence régulière, de le laisser respirer et s’apaiser sous le régime qui lui a été donné. Le pays dans son ensemble, le pays qui vit de labeur et d’industrie s’en tient à la réalité des choses. Il sait et il voit qu’il y a un gouvernement né d’une série d’actes et d’évolutions qui se sont succédé depuis trois ans jusqu’à la loi du 20 novembre 1873, déclarant M. le maréchal de Mac-Mahon président de la république pour sept ans. Il sait qu’à ce pouvoir, dont la durée et le titre ont été fixés ; la loi du 20 novembre a promis une organisation constitutionnelle. Voilà le fait acquis et l’engagement contracté. Si dans cette œuvre, en partie irrévocable, en partie inachevée ; il y a eu des calculs inavoués, des réticences, des sous-entendus, des réserves secrètes, des médiations mystérieuses, le pays et M. le maréchal de Mac-Mahon,