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la France. Le discours de ce patriote a réjoui les Allemands ! Que fait alors ce député à l’assemblée nationale de France ? Puisque tels sont ses sentimens, sa place n’est point assurément à Versailles, où les plus vifs dissentimens d’opinions n’altèrent pas un commun patriotisme. Qu’en pensera l’assemblée ? Qu’en pense le gouvernement lui-même ? Une enquête a été faite, à ce qu’il paraît, pour vérifier les paroles de M, Piccon. Des explications seront provoquées sans nul doute. Si le discours n’est pas expliqué ou désavoué, il n’est point impossible qu’il n’y ait quelque résolution dictée par le patriotisme, et c’est ainsi que ces vacances qui vont finir laissent à la chambre, avec les grandes affaires, un petit héritage d’incidens à vider, comme un intermède avant ou après les discussions solennelles de la politique.

L’assemblée nationale, à part les incidens qui l’agitent quelquefois et les questions constitutionnelles qui vont en grandissant devant elle depuis trois ans, l’assemblée s’est donné une tâche immense, épineuse et délicate, qu’elle n’a point encore achevée, qu’elle poursuit laborieusement, et où elle ne laisse pas de s’égarer peut-être quelquefois. Lorsqu’elle se réunissait au mois de février 1871, lorsqu’elle se trouvait en face de cette dure nécessité d’une liquidation désastreuse de six mois de guerre, elle décidait qu’une grande enquête serait ouverte sur les actes du gouvernement de la défense nationale. L’enquête devait s’étendre à la guerre, à la politique, à l’administration, aux finances, aux marchés passés à Tours ou à Bordeaux et à Paris. Commission principale d’enquête politique et militaire, commission des marchés, ont été le doublé instrument de cette œuvre, qui a pris par degrés des proportions presque colossales. La pensée était assurément bonne, le zèle et le dévoûment n’ont pas manqué à l’exécution. Les documens accumulés déjà sont considérables, les rapports se sont succédé, et on n’est pas encore au bout. M. le duc d’Audiffret, comme président de la commission des marchés, a déployé une activité infatigable, et a préparé par ses recherches les élémens d’une réforme de l’administration militaire. M. le comte Daru a publié récemment un long rapport d’ensemble sur les événemens politiques à partir du k septembre 1870. M, Perrot s’est chargé de retracer l’histoire de la guerre en province. M. Chaper a raconté le siège de Paris. D’autres ont suivi les événemens à Lyon, à Marseille ou à Toulouse, et il y a une histoire du camp de Conlie, exposée par M. de Laborderie, qui est certainement curieuse. L’œuvre grossit et s’étend chaque jour. Les Anglais, avec la passion qu’ils ont de voir clair dans leurs affaires et le sens pratique qu’ils portent en tout, font quelquefois de ces enquêtes parlementaires ; mais ils les font sur des questions précises, ils s’occupent avant tout de rassembler des faits, ils ne cherchent pas à dépasser les limites d’une investigation impartiale et positive. L’enquête française, poursuivie dans ces conditions, sans parti-