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mal en cette circonstance les intérêts de la colonie anglaise. Les jongles de l’Assam sont peut-être la partie de la péninsule où la culture de l’arbre à thé réussit le mieux. Cette plante ne vient pas au Thibet, dont le sol est trop sec ou le climat trop froid. Or de thé est la boisson ordinaire des Thibétains, qui ne sauraient s’en priver sans devenir malades. Aujourd’hui c’est la Chine qui leur fournit en quantités prodigieuses cette denrée, d’un transport facile, d’un prix élevé ; les cultivateurs du Bengale voudraient avec raison détourner à leur profit une partie de ce monopole.

Si ces divers voyages n’ont rien appris de nouveau sur le Thibet, ils ont du moins fait connaître le Szechuen. Pendant ces dernières années, un Allemand, le baron de Richtofen, l’a parcouru dans tous les sens ; il a révélé toutes les richesses que l’agriculture et l’industrie minière en peuvent retirer, mais aussi il a fait voir que ce quartier du globe ne peut avoir d’autre débouché que le Yang-tsé-kiang. Notre malheureux compatriote Francis Garnier venait de reconnaître le cours supérieur de ce fleuve quelques mois avant l’expédition du Tonkin qui lui a coûté la vie[1]. Lui aussi pensait que les produits de la Chine occidentale doivent s’exporter par Canton ou Shanghaï ; le but principal de son excursion avait été d’explorer les rapides du Yang-tsé en vue d’en rendre la navigation possible par des bateaux à vapeur. C’est une illusion sans contredit de croire que l’on détournera ce commerce vers l’Occident par une route plus courte ouverte à travers le massif des montagnes. Reste le Thibet tout seul dont les Anglais auraient à se préoccuper. Par quelle cause cette contrée est-elle impénétrable pour eux ? Ce sont peut-être les missionnaires qui vont nous l’apprendre. Ces zélés propagateurs de la foi catholique s’inquiètent peu des longitudes et des latitudes, que les géographes veulent connaître avec précision ; sauf quelques rares exceptions, ils n’étudient guère la faune et la flore des contrées qu’ils parcourent, ils ne cherchent pas à se renseigner sur les habitudes du commerce. Par compensation, ils envoient souvent des pays lointains qu’ils visitent des observations sur l’état social et politique, observations d’autant plus précieuses qu’ils vivent avec le menu peuple et pénètrent plus avant que ne le peuvent faire les autres Européens.

L’occupation de Pékin par l’armée anglo-française et le traité de paix qui s’ensuivit eurent, on le sait, pour conséquence de donner

  1. A voir quelle science et quel dévoûment les officiers de la marine française apportent dans les voyages d’exploration qui leur sont quelquefois confiés, on se sent regretter que les missions de ce genre ne soient pas plus fréquentes. L’indo-Chine est encore bien peu connue. Pourquoi la belle expédition du Mékong n’a-t-elle été suivie d’aucune autre ?