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aux missionnaires le droit de s’établir sur tout le territoire du Céleste-Empire. Ils n’avaient pas attendu cette permission. Quoique souvent inquiétés par les mandarins, plusieurs vivaient déjà dans le Szechuen, où ils avaient fait quelques milliers de prosélytes. Ils avaient même fondé en 1854 un centre de mission dans la vallée de Bonga, sur le sol du Thibet et tout près des frontières du Yunnan. C’était un lieu désert lorsque y arrivèrent MM. Fage et Renou, qui réunirent autour d’eux un certain nombre d’indigènes, défrichèrent le sol, le mirent en culture, puis convertirent leurs ouvriers et de proche en proche les habitans des villages d’alentour. Ainsi se fondaient alors ces intéressantes communautés sous l’apparence modeste d’une exploitation agricole. Cependant cela déplaisait aux lamas du voisinage, qui, quatre ans avant l’expédition anglo-française, avaient détruit la maison de Bonga, et forcé MM. Renou et Fage de chercher un refuge dans le Szechuen.

Les missionnaires savaient bien que rien ne se fait au Thibet sans la permission du gouvernement de Pékin ; ils n’ignoraient pas que le gouverneur, du Szechuen était en quelque sorte vice-roi de cet état subalterne, que le talaï-lama recevait de lui le mot d’ordre. Aussi, lorsque ce haut mandarin eut fait publier dans sa province les stipulations du dernier traité qui leur étaient favorables, s’imaginèrent-ils que la route de Lhassa leur était ouverte, bien plus, qu’ils allaient obtenir justice contre leurs persécuteurs et rentrer en triomphe dans leur ancienne résidence de Bonga. Ce n’est plus à la dérobée qu’ils vont prêcher les infidèles, se disent-ils ; les autorités chinoises leur délivrent des passeports ; le vicaire apostolique, Mgr Thomine-Desmazures, est reçu avec de grands honneurs à Tatsindou, sur la frontière. Peut-être ne montrèrent-ils pas une réserve suffisante en présence de ces mandarins et de ces lamas ombrageux, qui sont de toute nécessité hostiles aux idées nouvelles. Leur illusion s’évanouit bientôt. Dès qu’ils eurent mis le pied sur le sol du Thibet, on leur signifia brusquement qu’il était défendu d’aller plus loin ; il était interdit aux indigènes de leur rien vendre, de leur fournir des bêtes de somme, même d’entrer en relation avec eux. La seule concession qu’ils obtinrent fut la permission de rentrer à Bonga, et ce ne fut pas pour longtemps. En 1864, ils ne furent même plus tolérés en cet endroit. Les missionnaires qui avaient converti peu à peu plusieurs villages des environs furent expulsés les uns après les autres et tous contraints de se réfugier dans le Yunnan ou dans le Szechuen[1].

Ainsi les missionnaires français ne sont guère plus heureux que

  1. On trouvera le récit complet de ces événemens, ainsi que beaucoup de renseignemens pou connus sur le royaume de Lhassa, dans la Mission du Thibet, ouvrage rédigé d’après les lettres de M. l’abbé Desgodins, l’un des missionnaires de Bonga.