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avec l’heureux entrain de l’innocence lorsqu’il les avait inondées ; il a suivi de ses petits doigts les figures des mosaïques de cailloux comme il suivait les lettres dans son alphabet, il a caressé et tapoté familièrement les allégories et les dieux. On l’a fait prier dans la chapelle, et là ses jeunes regards se sont promenés avec une curiosité chercheuse sur les images peintes et sculptées qui la remplissent. Une surtout a dû particulièrement occuper ses yeux, le sacrifice de Noé, sculpté sur la face de l’autel, devant lequel on le faisait agenouiller, et l’idée de bêtes offertes en sacrifice, d’holocaustes de chair et de sang, s’est associée à l’idée de culte dans sa tendre imagination. Puis toutes ces figures qui rattachent le mystère chrétien aux histoires de l’ancienne loi le poussaient doucement vers une antiquité religieuse toute patriarcale, toute rustique, où les prêtres étaient pâtres, où les victimes étaient tirées d’entre les bêtes des troupeaux chéris, où les campagnes rendaient des oracles divins. Les images de ce double spectacle s’associaient et se confondaient sans effort, car il était aussi près des unes que des autres, et dans ses jeunes rêves le sacrifice du bœuf et de l’agneau fut sans doute plus d’une fois présidé par les nymphes, tandis que la grotte de la salle des bains servit plus d’une fois de temple aux patriarches et aux prophètes de la chapelle. Voilà le secret de l’imagination de d’Urfé, de ses grottes qui sont des sanctuaires, de ses berceaux de verdure qui sont des temples, de ses bergers pieux comme des ermites, de ses nymphes et de ses vestales, de son druidisme à la doctrine pure comme le christianisme et à la liturgie innocemment sanglante comme l’antique religion patriarcale. Son druide Adamas, en sortant de cette chapelle, a traversé la grotte des bains, voilà pourquoi il est si familier avec les secrets des riantes allégories, pourquoi sa parole est aussi abondante en images heureuses, pourquoi il connaît si bien le langage des nymphes et des grâces ; le berger Céladon, en sortant de cette grotte, où il a bercé ses rêveries amoureuses, est entré dans cette chapelle, voilà pourquoi son amour a la ferveur de la religion, et pourquoi l’être aimé inspire à son cœur la timidité et la crainte que la Divinité inspire aux fidèles. Tels des tableaux de l’Astrée sont de véritables calques de ces lieux-ci. Lorsque le chevalier Alcidon raconte comment, errant une nuit dans les campagnes de Provence, il a vu les dieux des eaux tenant conseil dans la Sorgue, la décoration de la grotte des bains revient aussitôt au souvenir, et lorsque les eubages, vêtus de blanc, présidés par le druide Adamas, procèdent à l’immolation des victimes, on revoit le bas-relief de la chapelle qui représente le sacrifice de Noé.

Sphingem hahe domi, garde ton secret chez toi, dit une