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saura mettre dans ces simples paroles : « il fait beau, » une expression qui paraît menacer la dame à laquelle elles s’adressent d’un enlèvement immédiat, tandis que la coquette répond : « Je crains qu’il ne pleuve bientôt, » avec des mines qui impliquent le plus doux consentement. Kate passe souriante et moqueuse, beaucoup plus sensible aux complimens qui s’adressent à son cheval qu’à ceux qui rendent hommage à sa beauté, traitant les hommes en camarades et leur imposant le respect, assez sûre, d’elle-même sous tous les rapports pour n’avoir nul besoin de chaperon. C’est uniquement par respect pour l’usage qu’elle laisse son cousin John jouer ce rôle auprès d’elle, sans se douter que le pauvre garçon souffre souvent de voir en continuel péril le trésor qu’il aspire à posséder un jour. Nous les retrouvons partout ensemble. Au meeting aristocratique d’Ascot, où John l’a conduite, Kate peut à peine s’empêcher de pleurer quand Colonist gagne la cup ; la course a été disputée de près jusqu’au bout, et en y assistant, glacée d’émotion, elle a compris qu’un homme ruine femme et enfans pour le turf. Si elle osait sauter au cou de l’amour de petit jockey qui ramène le vainqueur !

En traversant la forêt de Windsor, elle a eu le cœur troublé par la mélancolie de ces futaies splendides, elle s’est dit qu’il serait doux d’y écouter les soirs d’été la chanson du rossignol, et de ne pas être seule pour l’écouter. En même temps elle a levé les yeux vers son cousin John, et a ressenti un mélange de désappointement, de mauvaise humeur. John a toutes les meilleures qualités, et on lui trouve bonne mine, mais il est carré d’épaules, coloré, déjà un peu gros ; la figure d’un roué lui plairait davantage, celle de l’inconnu du parc par exemple ! Le malheur veut que cet inconnu lui soit présenté dans un bal par son cousin lui-même : le capitaine Frank Lovell est un homme à bonnes fortunes. Lady Scapegrace[1], une lionne de la nouvelle école, s’est compromise pour lui ; mais qu’on se rassure, ni John, qui lui inspire la plus vive amitié, ni Frank, qui est bien près de lui inspirer de l’amour, ne vaut encore pour Kate son cher Brillant.

« La visite quotidienne que je lui fais est un de mes meilleurs plaisirs. Qui ne serait fier d’un tel accueil ? Au bruit de mon pas, il commence à s’agiter, à remuer la queue, à dresser les oreilles, à broyer sa litière sous ses pieds nerveux. Et, quand j’approche, il fait un saut que les étrangers croient souvent précurseur d’un coup de pied, sa queue étincelante frétille de plus en plus. J’appuie ma joue contre la sienne, et nous nous embrassons ; puis il fouille du museau dans mes poches bourrées de sucre, qu’il mange du bout des dents avec des manières de petit-maître. Certes il a plus d’esprit

  1. Scapegrace, garnement, vaurien.