Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 3.djvu/454

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait de personnalité dans le style et de science réelle dans l’exécution. Comme le Tondo du Louvre, la Madone du duc d’Aumale est à Paris une production remarquable de sa meilleure époque.

En paraissant demeurer fidèle aux règles de la tradition, le génie de Raphaël s’en affranchit rapidement. Il n’est pas nécessaire d’établir ici, au milieu de ce rapide examen, ce que le grand peintre garda de respect aux traditions et quelles libertés il sut prendre dans ses grandes allégories. Sans faire à ses devanciers, Luca Signorelli, Fra Bartolomeo, la part qui leur revient, si l’on étudie la formation de ce talent ingénument éclectique, en rappelant seulement les exemples qu’il avait eus sous les yeux dès sa jeunesse, on mesure la force de l’élan qui l’arracha si vite aux influences d’école et aux enseignemens d’un art conventionnel et encore hiératique. Quoiqu’il fût idéaliste par nature et exempt de parti-pris, Raphaël n’eut pas besoin d’étudier longtemps Léonard et Michel-Ange pour comprendre le secret de leur supériorité ; aussi la nature fut promptement le modèle dont il voulut recevoir les leçons définitives. On le voit bien déjà dans les dessins qui datent de ses premières années, et c’est à la nature, mais copiée sans servilité, qu’il dut une science dont la grâce de son crayon ne voile pas la présence à des yeux pénétrans. La Vierge de la maison d’Orléans, le joyau de la collection du duc d’Aumale et le plus précieux tableau de l’exposition, appartient évidemment à cette manière du maître qu’on est convenu d’appeler la manière florentine, quoiqu’à vrai dire il n’y ait pas eu de transformation dans le goût, ni de temps d’arrêt dans la marche de Raphaël ; ce qu’on regarde comme des différences n’est en réalité que le mode naturel d’un progrès continu. Cette Madone peut être datée de 1508. La plupart des commentateurs la font remonter jusqu’en 1506, c’est l’année du premier séjour à Florence. Eh bien ! chez ce jeune homme de vingt-cinq ans qui vient à peine de quitter Pérouse et le Pérugin, Sienne et le Pinturricchio, c’est-à-dire l’école et la doctrine d’école, comme on surprend déjà les préoccupations qui vont si rapidement amener l’entier développement des aptitudes, encore timides ! Qu’on étudie le modelé du cou de la Vierge, celui des paupières, combien l’élève est déjà loin des leçons qui le tenaient captif ! Ce coloris si vrai dans sa réserve, Léonard ni Michel-Ange ne lui en ont guère donné l’exemple, et le dessin même aisé, gras et souple comme la chair, ne rappelle pas davantage la sécheresse du contour et le modelé à outrance de ses deux devanciers. D’ailleurs n’oublions pas qu’en 1506 les deux cartons de la bataille d’Anghiari, commandés par la république de Florence à Michel-Ange et à Léonard, n’étaient pas commencés, et, à l’exception de la madone bizarre exécutée pour