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des détails. Cependant, avec ce système souvent trop sommaire, l’artiste fut un portraitiste en vogue, sans doute parce qu’il était fidèle. La Vierge que nous trouvons ici rappelle à la fois ses qualités et ses défauts, parmi lesquels on peut signaler le dédain de la grâce même chez ses modèles les moins faits pour l’inspirer. Il ne faut pas être un amateur vulgaire pour se laisser séduire par d’aussi austères qualités. Antonello de Messine, le plus inégal des artistes, tantôt l’émule de Jean Bellin pour la précision du dessin et l’énergie de la couleur, comme dans l’admirable Condottiere de la galerie Pourtalès, aujourd’hui au Louvre, le plus souvent incorrect et presque barbare, s’est montré quelquefois aussi gracieux et poétique, comme dans la petite tête qui appartient encore à Mme Duchâtel. Nous avons entendu attribuer ce joli portrait à un maître des écoles de Flandre, on a nommé Mabuse ; il nous semble au contraire que, par le caractère de la coiffure, ce jeune homme indique incontestablement sa patrie italienne, le siècle même où il a vécu, et, quand on compare, on reconnaît avec plus de sécurité encore la main d’Antonello ; seulement ce jour-là elle était bien inspirée.

Une belle Vierge sur son trône entre deux saints, sujet favori de l’école ombrienne, annonce le maître de Raphaël ; mais cette fois ce n’est pas l’artiste expéditif promenant sur un de ses innombrables ex-voto un pinceau peu consciencieux : nous sommes en face d’une œuvre soignée, peinte avec une touche spirituelle et de cette couleur transparente et légère particulière aux fresquistes. Il faut accepter les maîtres comme ils se montrent, avec des défauts qui leur sont quelquefois imposés. Pérugin dut peut-être aux exigences de ses patrons, corporations ou maisons religieuses, cette apparente inertie d’imagination, ces redites monotones d’un même type qu’on lui reproche. Entre tous ces grands établissemens religieux du moyen âgé et de la renaissance, il y avait une sorte de rivalité et une jalousie vigilante. Aussitôt que la réputation d’une œuvre dépassait les murs de la cité ou du couvent, l’artiste qui l’avait produite était assailli de demandes, pressantes, impérieuses, auxquelles il eût été quelquefois imprudent de se soustraire. Il fallait retrouver le même succès : le plus court et le plus sûr moyen de l’obtenir était de se copier. Les historiens reprochent au Pérugin de s’être surtout laissé guider par l’amour du gain dans ce commerce de piété ; faut-il nécessairement accepter les insinuations de Vasari pour expliquer cette stérilité apparente ? Pérugin n’est pas plus coupable que beaucoup de ses contemporains, lesquels employaient comme lui les mêmes procédés hâtifs et commodes, et le zèle, satisfait à temps, des donataires ne songeait pas à s’en plaindre. Pérugin a montré à Città delle Pieve, à Pérouse, à Florence, ce qu’il