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Alpes et à Lyon, Pierre Valdo pour prédicateur éponyme, et la Nobla Leyczon pour livre-manifeste[1]. Cette association religieuse, essentiellement populaire, d’allures toutes pacifiques, défia toutes les persécutions et subsista jusqu’à la réforme du XVIe siècle, dans laquelle, comme nous l’avons vu, elle se fondit. Quelques différences que l’on puisse signaler entre ces diverses tentatives de réforme, elles ont pour caractère commun de procéder par la suppression de ce qu’elles regardent comme des erreurs ou des superfétations ajoutées par l’église romaine au christianisme évangélique ; elles aspirent à élaguer les branches malades ou parasites, mais non pas à déraciner l’arbre tout entier pour le remplacer par un autre.

Le catharisme ou la religion albigeoise procède d’un tout autre principe. Il ne vise pas précisément à rabaisser le dogme et le culte orthodoxes afin de mettre au premier rang des conditions du salut la piété intérieure et la charité. Il part d’une notion métaphysique de l’Etre divin, laquelle nie radicalement la notion orthodoxe ; il oppose sa tradition, son clergé, son rituel, à la tradition, au clergé, au rituel de Rome, et il est facile de voir que, sans se confondre avec le vieux manichéisme, il se rencontre avec lui sur plus d’un point essentiel.

D’abord il pose en principe un dualisme métaphysique qui serre de bien près le dualisme manichéen. D’après l’enseignement primitif de la secte, le principe du mal existait de toute éternité en face du principe du bien ; mais on peut distinguer deux théories qui se combattirent quelquefois au sein du catharisme lui-même, sans aller jusqu’à la rupture ouverte. Il y eut en effet, comme on va le voir, un adoucissement apporté au dualisme absolu.

D’après la théorie dualiste absolue, le Dieu bon n’aurait créé que des êtres spirituels, invisibles et purs ; c’est le mauvais qui aurait créé la matière et le monde visible, foyer de tout mal physique et moral. Il y a pourtant des esprits ou des âmes sur la terre. Cela vient de ce que le dieu méchant, s’étant introduit dans le monde céleste, a séduit ces âmes et les a entraînées à descendre avec lui sur la terre. Pour les y retenir, il les a renfermées dans des corps et enchaînées par la sensualité. Le Dieu bon consentit du reste à cette incarcération pour que les âmes coupables fussent punies de leur faute. La terre est donc un lieu de pénitence. Les âmes, en vertu de leur nature originelle, que rien ne peut anéantir, doivent infailliblement retourner au ciel ; mais elles s’attardent dans leurs péchés et par conséquent dans la période d’épuration qu’elles

  1. Voyez, pour ce qui concerne les vaudois, les études intitulées l’Israël des Alpes, par M. Hudry-Menos, dans la Revue du 15 novembre 1867, du 1er avril et du 1er août 1868, et du 1er janvier 1869.