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et souillant les baisers qu’elle donne. Goethe n’y a pas manqué ; La Fontaine n’est point si barbare, sa démonstration n’a que douceur et bonhomie, se contentant de nous enseigner la force du naturel :

Il se moque de tout ; certain âge accompli,
Le vase est imbibé, l’étoffe a pris son pli.


Le joli vers, et comme c’est bien venu ! Nous qui nous imaginons aujourd’hui posséder le secret des vers bien faits, trouverions-nous à fournir beaucoup d’échantillons de cette sorte ? Haussons maintenant la note : voici le Berger et la Mer ; de M. Millet, le Paysan du Danube, de M. Gérôme, l’Amour et la Folie, de M. Emile Lévy. Dans un paysage tout fraîcheur et clarté, la Folie conduit l’Amour et dirige son arc. De ce feuillage et de cette lumière se détachent, les deux figures, deux marbres pour l’harmonie, la pureté du groupe ; c’est d’un romantisme néo-grec qui vous enchante, quelque chose comme un Célestin Nanteuil que le style de l’heure présente a touché. Donc au total douze dessins, tous remarquables ! Chaque livre a son illustration, et, grâce au procédé héliographique habilement manié par l’éditeur, ce n’est plus désormais une interprétation quelconque de l’œuvre qui nous est offerte, c’est l’œuvre même de l’artiste telle qu’elle a été conçue et exécutée, à la mine de plomb, à la plume, au pinceau. Il faut bien le reconnaître, la taille-douce voit chaque jour ses autels abandonnés. C’est là un malheur dont nombre d’excellens esprits ne se consoleront jamais ; ils ne cessent de nous le répéter sur tous les tons, mais qu’y faire ? Les plus belles élégies du monde n’ont pas empêché les chemins de fer de remplacer les diligences, la télégraphie électrique de succéder aux télégraphes machinés, les instrumens météorologiques de détrôner les baromètres à capucin. Tout passe, tout lasse ; disons mieux, tout se transforme. D’ailleurs pourquoi le prendre sur ce ton de prophétique égarement, pourquoi désespérer à si grands frais ? Dans tous les procédés qui s’imposent fatalement à l’industrie moderne, dans tous ces dérivés de la photographie et du cliché, l’art du graveur trouvera toujours où mettre la main. L’agent mécanique ne fera jamais que le quart ou le tiers du travail, et la perfection ne s’obtiendra qu’à l’aide du ciseau reprenant la planche et la parachevant, la complétant. Alors sera rendue impossible au graveur toute déviation dans l’interprétation de l’original, il lui faudra bon gré mal gré s’en tenir à la composition du maître, et renoncer d’avance à toute espèce de modification d’un style qui l’enserrera de tous côtés comme dans un filet.

Ces expériences faites non plus in anima vili, mais sur les plus grands héros du règne intellectuel, ont cela de précieux, qu’elles ne se bornent pas à nous offrir des merveilles de fabrication, elles sont