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fables de La Fontaine, étant de tous les temps, ne sauraient être localisées dans un étroit milieu. On ne doit pas néanmoins nous laisser oublier qu’elles nous viennent du XVIIe siècle ; il y a pour elles, comme pour certains chefs-d’œuvre qui sont aussi de toutes les époques, une sorte de costume de convention également éloigné de l’affectation archaïque et du froufrou contemporain, et ne répugnant point à la fantaisie. L’édition des fermiers-généraux me paraît donner la vraie note. Je ne reprocherai donc pas à M. Levis Brown d’avoir, dans le Coche et la Mouche, visé le style Louis XV. Tout ce petit monde, emprunté plus ou moins au répertoire de Callot, prend son malheur en patience : le moine dit son bréviaire, une jeune virago dégoise sa chanson au nez d’un cavalier qui se cambre, une vieille femme assise à terre dorlote un poupon, un monsieur joue avec son chien, un sergent d’armes troussé en Scapin se donne des airs de capitan. Cependant la lourde machine embourbée se remet en branle sous l’effort redoublé de six robustes percherons ; mais le chemin « montant, sablonneux, malaisé, » qu’en a-t-on fait ? Je cherche aussi ce brûlant soleil qui joue un si grand rôle dans la fable : point de trace ; un ciel vaporeux, nuageux. Otez cette infraction au programme, la vignette est des mieux réussies ; vignettes également le Singe et le Léopard de M. Philippe Rousseau, le Meunier, son Fils et l’Ane de M. Worms, l’Enfouisseur et son Compère de M. Detaille, dont le paysage nous rappelle un peu trop les Joueurs de boules de Meissonier, ce qui n’est d’ailleurs une critique qu’au point de vue du sujet ; ces jolis arbres plantés en clairière, cette maison proche et riante, tout cela n’indique pas un site bien favorable au mystère. Placez dans cet agréable décor une scène d’opéra-comique, à la bonne heure ; mais les compères de l’espèce de ceux que La Fontaine nous décrit préfèrent généralement les sites plus écartés. M. Leloir, avec sa Chatte métamorphosée en femme, nous ramène au tableau de genre. Du fond de son alcôve, dont la courtine est à demi relevée, le mari stupéfait observe la crise : est-ce une femme, est-ce une chatte, cet animal délicat, élégant, souple, nerveux, qui se traîne ainsi à quatre pattes sur le tapis et projette vers les souris effarées ses jolis doigts recourbés en griffes ? L’artiste a merveilleusement fondu les deux natures en une seule. Cette chatte, qui miaule d’une voix de soprano et montre aux yeux des attitudes si voluptueusement féminines, regagnera son lit plus amoureuse et plus séduisante, et le brave homme de mari se gaudira de la métamorphose, — car les fables de La Fontaine ont cela de particulier, que jamais une image terrible ou repoussante ne se cache sous l’enjouement. Qu’un Allemand touche à ce motif, et vous aurez tout de suite la souris rouge restée aux dents de la belle dame