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plus démocrate que celui qui l’a formée. L’instituteur fuyait les avances des princes et ne portait pas les décorations qui lui étaient accordées ; l’écolier fait profession de braver les grands et les riches ; il ne croit pas pouvoir honorer son maître sans déclamer quelque peu contre les faux Gracchus, contre les Brutus satisfaits, contre les Catons de comédie. Disons-le en passant, M. Carducci gâte le portrait de cet homme aimable et modeste par le cadre emphatique où il l’enchâsse ; il en est puni par le ton théâtral de cette pièce d’un lyrisme peu d’accord avec la simplicité du sujet.

Un autre écrivain, celui-là plus célèbre, paraît avoir exercé sur lui et sur les hommes de son âge et de son parti une influence sérieuse. Le poète dramatique Niccolini avait marché d’abord dans la même voie que les Manzoni, les Rosmini, les Balbo, les Giusti. Une scission eut lieu sur la question religieuse ; Niccolini ne se laissa pas gagner par les espérances qui brillèrent comme une aurore fugitive sur les commencemens du règne de Pie IX. « Tu resteras gibelin, et nous resterons guelfes, mais nous serons toujours amis, » telles avaient été, dit-on, les dernières paroles adressées à la suite d’une discussion par le marquis Gino Capponi, qui attendait de la papauté la revendication de la liberté italienne, à Niccolini, qui n’en attendait que la prolongation des maux présens ; cette protestation cordiale ne fut pas réalisée. Les libéraux d’avant 1846 demeurèrent plus ou moins guelfes, ceux d’après se firent, pour une bonne part, gibelins ; mais Niccolini cessa de donner la main à ses anciens compagnons d’armes. Il changea d’amis, et M. Carducci compta sans doute parmi ceux qui renouvelèrent l’entourage du vieux poète républicain ; il grossit certainement les rangs des jeunes hommes qui faisaient de chacune des tragédies nouvelles de Niccolini une occasion de manifestations politiques contre la dynastie de Lorraine. Il devait être au milieu de la foule qui, à la veille de l’annexion au royaume d’Italie, battait des mains aux scènes plus virulentes que dramatiques de la pièce d’Arnauld de Brescia. Lui aussi, je pense, accompagnait en triomphe à son domicile le dramaturge presque octogénaire qui venait de surexciter en beaux vers la double passion de l’unité nationale et de l’indépendance civile. Dans plusieurs pièces de M. Carducci, nous retrouvons l’écho de ces soirées qui enivrèrent un instant Florence et rompirent la solitude où vivait confiné le patriarche libéral. C’est au lendemain d’une représentation de l’été de 1856, presqu’à la veille de la libération de l’Italie, que le jeune poète enthousiaste écrivait ces strophes :

« D’où te vient, ô saint vieillard, la puissance de communiquer à de vieux souvenirs de jeunes et vivantes colères, et d’enseigner l’espérance