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sirocco énervant tourmente les figuiers sauvages sur les vastes rochers taillés en équerre, il est monté sur les côtes anguleuses où le précédait le marchand du temps des Tarquins, attendant les voiles rouges de Phénicie sur la vaste mer bleue. Dante, qu’il appelle un pontife étrusque sorti de sa tombe, a été son grand-prêtre et son père spirituel, et il se fait conter par le chasseur la légende du comte Ugolin revenant du combat et frappant à la porte de la tour de Donoratico.

Il paraît que M. Carducci n’a pas conservé de l’école un souvenir sympathique. Est-ce la noire soutane du maître, sa voix chevrotante et le verbe amo à conjuguer sur une page usée et jaune, qui lui faisaient venir à l’esprit l’idée précoce de la mort ? Par un beau jour de juin, jour de soleil et de joie exubérantes que le poète excelle à décrire, l’enfant délivrait ses regards et sa pensée des entraves de la classe, en les dirigeant, à travers la fenêtre, sur les monts, sur le ciel, sur la courbe sinueuse de la mer. Grands chênes, petits arbrisseaux, nids babillards, oiseaux, insectes, faisaient un tableau et un concert à sa jeune imagination. Tout à coup du milieu de cette vie de la nature jaillit dans son esprit l’idée de la tombe et du néant. Cette petite peinture, intitulée Souvenir d’école[1], n’est pas seulement une de ses esquisses les plus heureuses ; sans le vouloir, il fait entrevoir dans cette figure enfantine de dix ans la physionomie du poète à trente ou quarante ans. « L’enfant est le père de l’homme, » dit Wordsworth, et je ne saurais m’étonner de ce que cet écolier qui se dérobe à sa classe pour voltiger tour à tour des pensées joyeuses aux images funèbres continue plus tard, esprit peu docile, à secouer tous les jougs, même parfois celui de la raison, à vagabonder en imagination, à passer du rire aux larmes, quelquefois sans motif, comme le clavier sous les doigts d’un artiste capricieux.

Il a consacré à un autre maître un hommage plus reconnaissant. Pietro Thouar était un instituteur populaire, d’opinions qui sentaient la république, et un écrivain de la phalange de ceux qui, renonçant aux conjurations, se mirent à préparer le peuple pour des jours plus heureux. Il avait fait partie de la Jeune Italie, et, tout en faisant sa classe, il copiait et répandait sous main les vers patriotiques de Berchet. Ce sont là précisément les hommes qui ont donné le signal du ralliement autour du trône national de Victor-Emmanuel. On comprend que de tels maîtres, qui signaient des adresses à la royauté d’une main atteinte déjà des glaces de l’âge, devaient laisser quelques écoliers moins revenus des illusions de la jeunesse. Si M. Carducci est un échantillon fidèle de cette génération, elle est

  1. Rimembranza di scuola, Nuove Poesie, p. 65.