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analytique, qui appauvrit un sujet à force de le creuser ? Ce tableau restreint, dont tout l’intérêt se concentre dans une seule figure, exigeait, soit plus de majesté d’attitude, soit plus de noblesse d’expression ; tel que le voilà, il ne sert qu’à marquer toute la distance qui sépare, en fait d’art, les créations abstraites du raisonnement des créatures vivantes de l’imagination et de la foi.

Nous préférons, à tout prendre, la Madeleine dans le désert de M. Henner. Voilà du moins un tableau simple et sans intentions raffinées ! Cette extrême simplicité, qui est son défaut, est en même temps son plus grand charme. La pécheresse repentie est assise ou plutôt à demi couchée contre un rocher, dans une attitude un peu raide, un peu insignifiante, mais profondément naturelle. Son corps blanc et nacré, ceint d’une draperie bleue, est peint de cette touche grasse et fondue, il se modèle avec cette suavité puissante et avec cette science du clair-obscur qui fait songer, quand on regarde les tableaux de M. Henner, à certaines figures de Corrège. Les mains jointes devant elle, elle ferme les yeux et s’endort de l’air calme et douloureusement recueilli d’une femme qui a beaucoup pleuré. Ce n’est pas sa faute si elle a les formes un peu lourdes et vulgaires du modèle à la ressemblance duquel elle est faite. — Le Bon Samaritain, du même auteur, est conçu dans le même sentiment. Peint dans une gamme discrète et pâle, presque dans le ton d’une grisaille, les nus y ont cependant un éclat paisible et une sorte de rayonnement lumineux. Le blessé est étendu tout de son long, dans une attitude assez gauche, la tête renversée, les jambes en l’air, le visage exsangue, plongé dans un évanouissement douloureux qui ressemble à la mort. Le Samaritain se penche sur lui maladroitement, entortillé dans une couverture qui paraît gêner beaucoup ses mouvemens et sous laquelle on ne devinerait pas de corps, s’il n’en sortait un bras lourd et disgracieux. Tout l’effet du tableau réside dans la figure abandonnée du mourant, qui, malgré quelques imperfections, notamment dans le dessin des jambes, est vraiment fort belle et fort expressive. Si nous osions définir le talent de M. Henner, nous dirions que c’est un peintre de naissance plutôt qu’un artiste accompli ; c’est positivement un descendant de Corrège, moins le génie.

Le David de M. Delaunay ne pèche ni par l’extrême simplicité de M. Henner, ni par l’extrême subtilité de M. Cabanel. C’est un pastiche de Dubois transposé en peinture. Il s’avance vers le spectateur, un immense glaive sur l’épaule, élevant triomphalement de l’autre main la tête coupée de Goliath. La jambe gauche, qui reste en arrière, semble chercher, pour s’y poser, cette tête qui n’est plus là, et l’on ne sait trop comment elle s’appuie sur le sol qui fuit