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Prenons maintenant, dans un autre genre, le tableau, de M. Cormon, une Jalousie au sérail. Dans le clair-obscur rougeâtre et pailleté d’une alcôve tendue de soie et de velours, un eunuque noir relève le cadavre d’une femme blonde et blanche qui pendant la nuit s’est frappée au cœur. Blême et déjà raidi par la mort, le corps délicat et nacré de la jeune femme se renverse encore dans l’attitude douloureuse où elle a reçu le coup mortel ; l’eunuque la dégage des tissus légers et ensanglantés qui l’enveloppent. Cette figure est d’une grande puissance de coloris et d’une incontestable beauté. Au-dessus d’elle, une autre femme brune, presque jaune, couchée sur le ventre et accoudée au bord du lit, avance sa tête plate et fine comme celle d’une vipère ; de ses longs yeux fendus en amande, elle regarde en souriant le cadavre de sa rivale, avec une expression de curiosité cruelle et de méchanceté satisfaite. Malgré tout, la toile de M. Cormon est encore une œuvre subalterne, un de ces morceaux romantiques de haut goût, où le brillant de la couleur dissimule la médiocrité d’une imagination vulgaire et la négligence d’une composition sans intérêt.

Le regretté Henri Regnault n’était pas lui-même exempt de ces défauts, qu’il rachetait par une grande franchise d’exécution et par une grande largeur dans le coup d’œil ; il oubliait quelquefois les côtés les plus élevés de son art pour s’abandonner, suivant sa fougueuse nature, à la fantasia de la couleur. La Salomé, qui a fait école, est un morceau admirable d’un art un peu malsain. On se rappelle l’invasion d’orientales empanachées qui suivit l’apparition de ce chef-d’œuvre. Dans son Exécution à Tanger, Regnault nous montrait un bourreau qui coupe une tête : voici venir à présent M. Clairin, qui nous montre plusieurs bourreaux et toute une corbeille de têtes coupées. Où cela s’arrêtera-t-il ? De ce côté, nous sommes complètement sortis du grand art, et nous ne savons plus guère par quelle porte y rentrer.

Un louable effort a été tenté pour y rentrer par la porte du réalisme. Sous l’influence des chefs-d’œuvre de l’école espagnole, un certain nombre de peintres ont entrepris à leur tour de rajeunir en France la grande peinture, en s’affranchissant tout à la fois de la fadeur des conventions académiques et des oripeaux fanés du romantisme, pour ne demander d’inspirations qu’à la nature et pour s’efforcer de faire des œuvres saines d’après des réalités saines. Quelques-uns sont allés jusqu’au bout dans cette voie ; rompant brutalement avec toutes les idées qui avaient alimenté l’art de leurs devanciers, ils se sont fait une esthétique nouvelle qui n’a servi qu’à leur fausser le goût. D’autres, plus prudens et peut-être plus sages, se sont contentés d’adapter le sentiment réaliste aux anciens sujets historiques ou religieux. Parmi ces derniers, le seul qui ait