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pas de placer, comme M. Rosalès, le meurtre de Virginie dans une chambre meublée presque à la moderne ; mais il ne faut pas que les sujets eux-mêmes soient subordonnés à la couleur locale ou à l’invention archéologique. C’est ce qui arrive ordinairement à M. Alma-Tadéma, Sa Dixième Plaie d’Égypte, toile longue et écrasée, remplie de personnages accroupis et presque rampans dans une espèce de crypte, est absolument inintelligible. Nous aurions besoin de M. Champollion-Figeac pour nous expliquer cette peinture hiéroglyphique ; il nous dirait si vraiment elle peut avoir un sens raisonnable, ou si elle n’est, comme nous le soupçonnons, qu’une mystification audacieuse.

Plus nous avançons, plus nous voyons l’art se corrompre. Tout à l’heure c’était la boutique du costumier qui en faisait le fond ; à présent ce sont des énigmes, des monstruosités, des duperies. La peinture de genre devient un magasin de bric-à-brac ou une succursale du musée Barnum. Comment réagir contre ce charlatanisme grossier et contre ces raffinemens de mauvais goût ? Il y a une école qui répond : par le réalisme, par le choix des sujets populaires, par l’étude attentive et la reproduction fidèle des réalités même les plus triviales et, faudrait-il dire, surtout les plus triviales. Ici nous touchons à ce que l’on peut appeler la démocratie de l’art. Cette démocratie proteste contre les platitudes bourgeoises et contre les fantaisies corrompues du luxe bourgeois ; mais elle ne sait la plupart du temps qu’imiter ces platitudes, et elle est souvent tout aussi malsaine que l’art qu’elle entend réformer. Sa prétention est d’idéaliser la trivialité par l’excès de la trivialité même et d’échapper à la banalité par l’affectation même du lieu-commun. D’ailleurs ceux des peintres de l’école démocratique qui en font sonner le plus haut la doctrine ne sont pas en général les plus convaincus. Ce ne sont pour la plupart que des vaniteux aigris et des sceptiques blasés à qui la prétention et l’esprit de système tiennent lieu de talent et de travail.

Et cependant tout n’est pas stérile dans la réforme qu’ils ont tentée, Malgré l’insolente nullité de la plupart d’entre eux, c’est peut-être encore de leur côté qu’il y a le plus de conquêtes et de progrès à faire. Il y a bien des degrés dans le réalisme, et, sans parler de la distance qui sépare M. Manet, ce barbouilleur, de M. Courbet, ce vigoureux peintre, auquel il ne manque que le sentiment du beau, une école qui peut compter dans ses rangs M. Millet et M, Jules Breton, ces deux poètes rustiques incomparables, M. Pille, ce préraphaélique d’une espèce étrange, mélange singulier de Giotto et de Daumier, et même, avec d’autres procédés de peinture, mais avec une inspiration également populaire, l’énergique M. Munkacsy, cette école assurément ne mérite ni la pitié, ni le dédain. Quoi de