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disparu dans une tempête de contradictions intimes. Pendant que ces laborieuses et délicates négociations se poursuivaient, en effet les partis ne restaient pas inactifs. Ils suivaient la marche de la crise, et ils n’avaient pas de peine à distinguer la direction qu’elle prenait. C’était assez pour soulever tous les orages dans certaines régions. Les deux députés de la droite qui devaient entrer dans le cabinet jugeaient-ils utile, avant de s’engager définitivement, de consulter leurs amis, de se faire en quelque sorte autoriser par eux en leur soumettant le programme qui allait être adopté ? La droite, même avant d’être consultée, n’était-elle pas déjà en campagne pour contrecarrer, une combinaison qui la froissait, qui ne faisait point une part suffisante à ses prétentions ?

Toujours est-il que, dans cette dernière période de la crise, un effort désespéré était tenté pour détourner l’évolution politique qui se préparait. La présidence était assaillie de visiteurs, de conseillers, d’avocats, consultans. M. de Belcastel lui-même, a eu l’honneur de soumettre son programme au maréchal, et M. Lucien Brun a été un des adversaires les plus implacables du cabinet en formation, auquel il a porté peut-être le dernier coup. M. Depeyre, qui se trouvait fort à sa place à la chancellerie et qui n’aurait pas été pressé d’en sortir, parait avoir eu lui aussi, un certain rôle d’excitation ; il n’aurait pas peu contribué à stimuler l’ardeur de ses amis de la droite au lieu de la contenir et de garder la réserve d’un homme quittant le pouvoir. — Eh quoi ! la république allait être organisée pour une durée fixe ! le septennat allait devenir une institution impersonnelle, avec transmission régulière du pouvoir, au lieu de rester le privilège personnel du maréchal ! Le centre gauche aux affaires ! tout était évidemment perdu. Le centre gauche était modeste, il est vrai ; mais qui ne voyait les conséquences ? M. Waddington conduisait à M. Dufaure, à M. Thiers, au radicalisme, à la commune. M. de Goulard et M. d’Audiffret et M. Decazes étaient des aveugles, qui menaient la France aux abîmes ! — Ce serait faire injure à M. le président de la république de supposer un seul instant que ces amplifications aient pu l’impressionner ; mais comme en définitive le dernier mot de tout cela était que, si l’on allait plus loin, la droite retirerait positivement son concours, comme on annonçait qu’au lieu de 50 voix dissidentes il y en aurait alors 150, le résultat était clair, le ministère n’aurait point de majorité. C’était dans tous les cas, une lutte ouverte, pleine d’incertitudes et d’incohérence dans un moment où l’on avait besoin de sûreté pour agir avec décision.

Qu’a voulu la droite ? Elle a eu un rôle étrange, dans cette crise, il faut l’avouer. Au premier instant, sous le coup du vote du 16 mai, les hommes de la droite modérée semblaient exaspérés contre les chevau-légers, les intransigeans, qui venaient de renverser le cabinet de Broglie ; ils n’avaient pas des paroles assez dures, assez amères pour ces cham-