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nord de sa longue complicité avec des marchands d’esclaves, de ses compromis, de l’humilité de ses représentans à Washington ; ils traitaient de pharisiens les ministres de l’Évangile, dont l’esprit de charité ne protégeait plus que des oppresseurs. Sans doute quelques fanatiques vulgaires étaient mêlés à leurs rangs, mais ce groupe, si peu nombreux au début, compta pourtant bientôt dans son sein quelques-uns.des noms les plus honorés dans la Nouvelle-Angleterre ; Sumner entendait l’écho de leurs prédications, il entendait aussi les rires ironiques, les éclats de colère de leurs ennemis. Il n’était pas de ceux qui portent sans efforts le joug léger de Mammon ; il était comme ces jeunes Romains, encore éblouis par la Rome païenne et secrètement touchés par la grâce douloureuse de la nouvelle foi. Il hésita longtemps ; il avait sous les yeux des exemples de vies non pas simplement mondaines, mais embellies, honorées par les lettres, en même temps que soustraites à la rudesse et aux violences des partis. Il était dans le port ; il en sortit quand la tempête s’annonçait et qu’il pouvait rester paresseusement à l’abri.

Il n’alla pas se ranger pourtant parmi ceux qui faisaient à l’esclavage une opposition plutôt religieuse que politique. Il resta sur le terrain de la constitution, et à cette époque la constitution garantissait encore les droits des maîtres d’esclaves. Les abolitionistes étaient des agitateurs, des moralistes ; ils parlaient une langue qui n’était pas celle du congrès ou du sénat. Sumner, qui les honorait et s’inspirait de leurs enseignemens, resta pourtant un politique ; mais il marqua bientôt par sa conduite qu’il obéissait à d’autres voix que celles qui étaient alors les maîtresses de l’opinion. En 1845, le 4 novembre, il assista à un meeting présidé par Charles-Francis Adams, qui devint sous M. Lincoln ambassadeur des États-Unis à Londres. Les résolutions, c’est ainsi qu’on nomme en pays anglo-saxon les propositions soumises à l’approbation d’une réunion publique, furent présentées par M. Palfrey, un historien éminent qui, né en Virginie, avait émancipé ses esclaves à l’époque de sa majorité et était venu se fixer dans la Nouvelle-Angleterre. La question qui agitait alors les partis était l’annexion du Texas. Charles Sumner avait rédigé les résolutions, et, il les commenta avec une grande éloquence. Il protesta contre l’admission du Texas comme état à esclaves, il dénonça le plan de ceux qui, non contens de maintenir l’esclavage dans les anciens états du sud et dans les limites autrefois convenues, voulaient lui ouvrir des territoires nouveaux, envahir tout le continent et assurer ainsi leur suprématie dans les conseils de Washington. Il protesta « au nom de Dieu, du Christ et de l’humanité, » et invita son état natal, le Massachusetts, à rester en tête de la croisade libératrice.