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politique où erraient quelques ombres qui fuyaient les bruits importuns d’un monde frivole, enivré de plaisir et de servitude. Son œil profond sondait l’avenir et apercevait déjà les ruines de cette fragile prospérité.

Pendant plusieurs années, les médecins lui commandèrent le repos. Il fut néanmoins réélu sénateur, à l’expiration de son mandat, par la législature du Massachusetts ; il alla peu après reprendre enfin sa place à Washington, et, bien que l’insolence du parti dominant n’eût fait que s’accroître, il dénonça avec une énergie nouvelle les empiétemens et les coupables ambitions du sud. Le moment approchait où les fautes de l’oligarchie des maîtres d’esclaves et du parti démocratique allaient trouver leur châtiment. L’élection de M. Lincoln amena les républicains au pouvoir. Le programme de ce parti était bien modeste, il n’aspirait qu’a « préserver les nouveaux territoires de l’esclavage par des moyens constitutionnels et légaux ; » mais ceux qui pendant longtemps avaient tenu le sceptre politique à Washington se préparèrent à la révolte. En vain l’on balbutia de nouveau le mot de compromis. M. Seward, M. Lincoln, tendirent l’oreille aux propositions de M. Crittenden ; ils étaient prêts à toutes les concessions honorables pour éviter la guerre civile, la rupture violente de l’Union leur paraissait le plus grand des malheurs. Sumner, devenu le chef du parti républicain dans le sénat, s’opposa au compromis de M. Crittenden, il refusa de sacrifier les principes qui venaient de triompher dans les élections, il savait que tout sacrifice serait vain, que la trahison était ouvertement préparée, que les arsenaux du nord avaient été vidés par le ministre de la guerre, que la lutte ne pouvait plus être évitée. Les sénateurs du sud quittèrent leur poste l’un après l’autre, et dans cette enceinte où si longtemps il n’avait fait entendre que de vaines protestations, Sumner se trouva bientôt le représentant le plus puissant de l’Union, à la fois le conseil et le juge du pouvoir exécutif, l’âme de la lutte engagée contre l’esclavage. Il fut nommé président du comité des affaires étrangères ; cette dignité, la plus haute que confère le sénat, faisait de lui le collaborateur le plus constant et le plus intime du secrétaire d’état, M. Seward, en même temps qu’elle lui permettait de tourner au profit de l’état les amitiés qu’il avait depuis longtemps nouées dans le monde diplomatique.


II

A partir de ce moment et pendant toute la présidence de M. Lincoln, la biographie de M. Sumner se confond avec l’histoire même