Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 3.djvu/769

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait fait du frère le chef de ce petit monde ; ses sœurs voulurent peut-être avoir son sentiments Le dauphin parla du livre à quelques personnes. Bref, on fut bientôt informé de tout, même à l’armée. Mme d’Andlau, effrayée, toute tremblante à l’idée de la colère du roi, supplia les princesses d’assoupir cette affaire. L’aînée, Madame Henriette, eut la simplicité de consulter sa dame d’honneur sur la conduite à tenir. La vieille maréchale de Duras n’eut garde de laisser échapper l’occasion de perdre la fringante dame de compagnie ; elle déclara qu’elle dirait tout au roi, si Henriette ne le faisait elle-même. De là la visite des princesses chez leur père dans l’après-midi du 22 juin. La bruyante disgrâce de Mme d’Andlau, son exil, furent à tous égards d’une maladresse insigne. Sans un tel éclat, jamais nous n’aurions connu toute cette affaire ; le public l’aurait ignorée, nul n’en aurait fait de chanson, tandis que pendant l’automne et l’hiver, à la cour comme à la ville, on fredonna certain couplet où il était fort question de cette dame et de son livre,


Qu’il faut suivre,
Pour bien vivre
En parfait chartreux
Religieux ;
Œuvre utile
À la fille
De ces lieux[1] !


Enfin les apologistes de Mesdames de France, des historiens naïfs et de peu de critique comme M. de Beauchesne, pour qui les princesses sont des vierges douloureuses, de saintes et pures victimes inclinées sur le monde, expiant dans les prières et dans les larmes les hontes du roi et les crimes du siècle, auraient sans doute eu moins de peine à nous persuader qu’elles n’ont soupiré que des psaumes ni regardé d’autres images que celles de leurs livres d’heures.

La mort de la première femme du dauphin (juillet 1746) rapprocha le frère et les sœurs. À Choisy, où était la cour, Adélaïde fut reprise d’un goût furieux pour le violon : dès l’âge de onze ans, elle en jouait vraiment fort bien ; Henriette dessinait, peignait en miniature, jouait de la viole ; elle n’avait pas de voix. Adélaïde au contraire avait cette « voix de basse étonnante, » presque aussi forte que celle de son frère, ce qui n’était pas peu dire. Celui-ci, grand musicien, très habile sur le violon, l’orgue, le clavecin, s’amusait à contrefaire les basses-tailles de la chapelle du roi. Il fit tant qu’on répéta et qu’on finit par croire dans le public qu’il chantait vêpres du matin au soir, en vrai bigot. Dès novembre 1746,

  1. Bibliothèque bibliophilo-facétieuse, éditée par les frères Gébéodé (1850), III, 124.