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enfans. Ce n’était plus Mme de Pompadour, c’étaient ses filles qu’il emmenait à l’Ermitage ; elles étaient des voyages de Choisy et de la Muette, suivaient les chasses, soupaient en tête-à-tête avec leur père. La favorite, déjà usée, séchait de dépit. Elle craignait pour « sa place, » elle sentait que, le jour où la vie de famille suffirait au roi, elle serait perdue, chassée, rendue à son mari, M. Lenormant d’Étiolles. Mesdames aînées désiraient beaucoup d’avoir l’appartement au-dessous de celui du roi, afin de profiter des visites de leur père ; la marquise le savait, elle remua ciel et terre pour l’emporter sur les princesses. Celles-ci cherchaient des consolations dans la dévotion, surtout dans une existence facile et quelque peu sensuelle. Réunis en conciliabule chez la reine, le frère et les sœurs soutenaient la résistance du clergé contre l’impôt du vingtième, encourageaient le refus des sacremens aux catholiques qui n’acceptaient pas la bulle Unigenitus, et faisaient casser par la cour les arrêts du parlement. Adélaïde stimulait le saint zèle d’Henriette, fort entourée par les jésuites. Après avoir si bien mérité du ciel, les princesses s’enfermaient, tiraient de leurs armoires des jambons, des mortadelles, des daubes, des vins d’Espagne, et mangeaient à toute heure. Elles commandaient aussi des petits soupers dans leurs cabinets, se mettaient à table à minuit, se crevaient de vin et de viande, comme parle Argenson. Le dauphin, plus ultramontain que jamais devenait lourd de corps et d’esprit : il était alors d’une grosseur et d’une épaisseur monstrueuses.

Les deux dernières filles de Louis XV, Sophie et Louise, revinrent de Fontevrault vers la fin de 1750. Sophie était alors une grande fille de seize ans, maigre, sérieuse, timide, fort mal habillée, avec les manières embarrassées d’une pensionnaire qui arrive de la province. Le bas du visage manquait d’agrément ; la bouche était plate, le menton un peu long. Elle ressemblait pourtant à son père, surtout de profil. Un grand fonds de bonté, d’affectueuse tendresse, luisait doucement dans ses beaux yeux au regard vague et furtif. Malgré tout, à cette époque, Sophie passait pour jolie. On n’en pouvait pas dire autant de Louise, petite et contrefaite, bossue avec une grosse tête, la peau très laide. Bien qu’elle n’eût que treize ans, elle raisonnait, discourait, prenait toujours la parole. L’établissement des princesses à la cour avait déjà causé des dépenses considérables : elles allaient être encore augmentées. Le marquis d’Argenson estime à 2 millions par an cette augmentation. Le duc de Luynes savait aussi que chacune des princesses dépensait 1 million par an. De pareils témoignages veulent être considérés sérieusement avant que d’être contredits. Tous les élémens de cette étude se trouvent dans les cartons et registres des archives de la