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miraculeuses dont chaque monastère est la demeure font chaque année des tournées dans les campagnes voisines. Conduites par les moines, elles vont en procession de village en village. On se presse sur leur chemin, on se dispute l’honneur de les baiser, de les porter, de les héberger la nuit. C’est là pour les moines l’occasion d’abondantes collectes, chez le peuple russe, si passionné pour les images, il en est dont la propriété suffit à la fortune d’un couvent. Il n’est pas de voyageur qui n’ait remarqué à Moscou une petite chapelle adossée à la principale porte de la Place-Rouge, la place qui sépare le Kremlin du bazar. Cette chapelle, devant laquelle peu de Russes passent sans se signer, contient l’image de Notre-Dame d’Ibérie, une des plus vénérées de Moscou. Comme à Rome le Bambino de l’Ara-Cœli, la Vierge d’Ibérie va parfois visiter les malades à domicile, et possède à cet effet chevaux et voitures. Cette image rapporte, dit-on, 250,000 francs par an : une partie est prélevée par le métropolitain, le reste revient au couvent propriétaire de l’icône. Les reliques et les images miraculeuses sont pour le clergé noir une sorte de monopole ; il ne souffre pas volontiers qu’en cette matière de simples popes lui fassent concurrence. De ce double avantage, les couvens en tirent un autre presque également lucratif. Les Russes aiment à se construire des tombes auprès du tombeau des saints, et, la mode ayant suivi la piété, les monastères sont devenus les lieux de sépulture les plus aristocratiques, les plus en vogue. Longtemps en Russie comme en Occident, ce fut pour les princes et les boïars une coutume de prendre, à l’approche de la mort, l’habit monastique, et de se faire enterrer dans les monastères. Aujourd’hui les habitans de Pétersbourg se disputent à prix d’or une place dans le cimetière de Saint-Alexandre Nevski, ou à son défaut dans celui du couvent de Saint-Serge, près de Strelna, au bord du golfe de Finlande.

Dans beaucoup de couvens, les moines semblent n’avoir d’autre mission que d’être des gardiens de reliques et d’images, ou des collecteurs d’aumônes. Leur principal travail est souvent de donner à leurs offices une majesté particulière. Ils y mettent parfois beaucoup d’art ; quelques monastères, comme Saint-Serge de Strelna, sont célèbres par leurs chants, ce qui n’est pas un petit mérite dans un pays où la musique sacrée est en grand honneur, où elle est demeurée entièrement distincte de la musique profane, et possède encore ses compositeurs spéciaux Ailleurs les religieux ont, selon les traditions byzantines, à côté des écoles de chant, conservé des ateliers de peinture ; ailleurs encore ils pratiquent une des vieilles occupations monastiques, la copie des livres : seulement l’imprimerie a remplacé les manuscrits. Les presses de Petcherski de Kief