Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 3.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la question albigeoise et dont M. Peyrat s’est beaucoup occupé, celui de la nationalité méridionale écrasée pour toujours par le succès de la croisade. Il est en réalité bien difficile de décider si le catharisme put se féliciter d’être intéressé au maintien de la séparation entre le nord et le midi de la France, ou bien si l’indépendance du midi n’eut pas beaucoup à souffrir de sa connexion avec les destinées d’une hérésie détestée. D’un côté, la maison de France se voyait amenée, par l’intérêt de l’unité nationale qu’elle voulait réaliser, à combattre une tendance religieuse qui, dans un tel temps, ne pouvait que contrarier l’objet de sa glorieuse et constante ambition ; de l’autre, l’autonomie du midi devait soulever contre elle des passions religieuses d’une force à la longue irrésistible, du moment qu’on la croyait solidaire du catharisme. En fait, si les deux élémens politique et religieux se prêtèrent quelque temps un mutuel appui, ils contribuèrent par leur alliance à leur chute simultanée. On peut regretter à plus d’un point de vue que la fondation de notre unité française ait coûté tant de larmes et de sang dans la région méridionale, mais on peut le dire sans réticence : Hoc erat in fatis. Le nord et le midi de la France sont absolument nécessaires l’un à l’autre ; leur séparation les condamnerait à l’annulation désespérée. Ils se complètent par leurs qualités et se font équilibre par leurs défauts. Ce n’est pas dans des jours où nous sentons si douloureusement la blessure faite à notre vie nationale par une mutilation récente que nous pouvons hésiter dans notre jugement définitif sur la marche des événemens qui nous ont faits ce que nous sommes. Le catharisme a péri, surtout parce que, ni politiquement, ni religieusement, il n’était né viable. Le grand honneur qui lui reste, c’est d’avoir, en dépit de son principe sacerdotal, contribué à relever la grande idée de la filiation divine de l’âme humaine. C’est là son œuvre féconde, car ce principe, si peu sacerdotal en lui-même, n’est autre chose que celui de la véritable indépendance religieuse. Il aboutit à fonder l’autonomie de la conscience. Le catharisme albigeois est au moyen âge le premier grand martyr de cette autonomie qui constitue aujourd’hui notre plus précieux trésor. Le moyen âge repose tout entier sur le droit prétendu d’opprimer la conscience, soit individuelle, soit collective, soit par la conquête, soit par l’anathème. C’est le jour où tous comprendront que ni la conquête ni l’anathème ne créent une légitimité quelconque, c’est ce jour-là seulement qu’on pourra dire le moyen âge vraiment fini.


ALBERT RÉVILLE.