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recevoir dans l’intimité le prêtre instruit n’y peut admettre son ignorante compagne. Chez un clergé comme celui de France, sorti d’ordinaire des classes inférieures, la dignité sacerdotale peut suppléer à la naissance, et l’instruction à l’éducation ; il en est tout autrement pour un clergé marié. Entre la société et lui, la femme élève une barrière, et le mariage devient pour le prêtre un principe d’isolement. Pour relever le clergé, il faut relever l’épouse du prêtre. Quel mariage peut exiger d’une femme plus d’élévation, de noblesse et de hautes vertus ? Il semble qu’il y faille une sorte de vocation. Il existe des écoles pour les filles des popes : on s’est souvent moqué de ces pensionnats pour les demoiselles du clergé, il est cependant difficile de s’en passer. Dans l’état des mœurs, il faudra bien des années pour qu’en dehors de sa classe le prêtre puisse trouver d’autres compagnes que d’ignorantes filles de paysan ou d’artisan. Il y a là une difficulté à laquelle on ne remédiera qu’en améliorant la position matérielle du prêtre, l’aisance peut seule ouvrir à sa famille l’accès de l’instruction, elle seule peut donner aux jeunes filles le goût et le respect de la profession sacerdotale.

Après la femme viennent les enfans du pope. Là est un autre des embarras du régime actuel. Filles et garçons ne peuvent tous demeurer dans la classe sacerdotale ; aujourd’hui qu’on leur en a facilité la sortie, un grand nombre en profitent. Parmi les milliers de jeunes gens élevés en vue de l’autel, beaucoup ne veulent pas entrer dans une carrière dont ils ont de trop près aperçu les souffrances ; au sortir du séminaire ou de l’académie, beaucoup détournent la tête du calice que leur présente l’église. À ces fils du clergé qui rejettent le froc et la soutane, la vie n’offre pourtant que d’assez sombres perspectives. Leur éducation les met en dehors du monde de l’artisan ou du paysan, et dans les carrières libérales la route leur est barrée par la pauvreté, le manque de relations et les préjugés sociaux, peu favorables aux gens de leur classe. Ce triple obstacle en retient la majorité dans les emplois inférieurs de la bureaucratie. A force de ténacité cependant un assez grand nombre de fils de prêtres, de séminaristes, comme on les appelle en Russie, parviennent à un rang honorable. Il s’en rencontre dans presque toutes les carrières, dans celles surtout qui demandent du savoir et du travail, dans le professorat, la médecine, la presse et le barreau, parfois même dans les affaires et dans l’armée. Ils ont pour stimuler leur ambition l’exemple de Spéranski, qui sous Alexandre Ier s’éleva des bancs de l’académie ecclésiastique aux plus hautes dignités de l’empire. On a remarqué dans les pays protestans que d’aucune classe de la société il ne sort autant d’hommes distingués, autant de savans surtout, que des familles de pasteurs. Cela se