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comprend, ces fils de pasteurs tiennent de leur éducation deux grands élémens de supériorité, l’instruction et la moralité. Avec une éducation analogue, les fils de popes fourniraient à la Russie une classe aussi précieuse. Pour le moment, avec toutes les difficultés de leur Origine, ils forment déjà dans la société russe un élément important, doué de qualités propres.

En entrant dans les diverses professions, ces enfans du clergé passent officiellement dans les diverses classes entre lesquelles est répartie la nation, ils ne se confondent point pour cela avec le milieu dans lequel ils entrent. Dans toutes les carrières et à travers tous les degrés du tchine, ils restent une classe à part, ils gardent une physionomie et des tendances particulières. Un séminariste, un popovitch se reconnaît partout ; au milieu de la société laïque, l’empreinte cléricale demeure indélébile. Cet esprit porté dans le monde par les élèves des séminaires, cette marque distinctive de la classe d’où ils sortent n’est point ce qu’on attendrait des fils de l’église. C’est un esprit libéral, parfois révolutionnaire, un esprit de dénigrement et de jalousie contre les positions acquises et les hautes classes. Ces penchans, en apparence incompatibles avec leur origine et leur éducation, en sont le résultat ; ils sont la conséquence des souffrances, des misères, des dédains reçus et pour ainsi dire accumulés dans la classe sacerdotale. Le clergé blanc lui-même n’a point d’opinion ; affaissé par le double fardeau de la vie matérielle et de l’autorité religieuse, il n’en peut guère avoir. Raisonnées ou non, ses tendances sont différentes de ce que sont aujourd’hui dans la plus grande partie de l’Europe les tendances du clergé. Au lieu d’être, par ses privilèges et son éducation, attaché aux intérêts aristocratiques ou conservateurs, le clergé russe, le clergé blanc au moins, a des instincts populaires et démocratiques. A cet égard comme à beaucoup d’autres, il y a entre les popes et le haut clergé monastique un naturel contraste. Les premiers n’ont pas assez lieu d’être satisfaits de l’ordre social pour redouter les innovations dont s’effraient les chefs de l’église. Ce qui chez le prêtre n’est qu’un instinct devient chez ses fils une conviction, une doctrine calculée.

Le contraste entre la haute vocation et l’humble position du prêtre choque de bonne heure le jeune séminariste, les obstacles qu’il rencontre au début de sa carrière blessent son orgueil, les préjugés qui le poursuivent à travers la vie l’irritent. De là l’esprit démocratique et novateur, quelquefois radical et révolutionnaire, des fils de popes. Ils ne gardent souvent pas plus d’affection et de respect pour l’ordre religieux que pour l’ordre social ; en sortant de ses écoles, ils se révoltent contre l’église, qui pour eux et leurs pères n’était qu’une marâtre ; ils se raidissent contre la compression spirituelle