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l’ignorance et de la paresse, deviendront une sorte de stage pour le candidat à la prêtrise ou d’apprentissage pour l’instituteur primaire. De cette classe jusqu’ici encombrante et dédaignée, on espère faire une pépinière d’honnêtes instituteurs. C’est par elle surtout que le clergé pourra servir à l’instruction de la nation. Comme les offices rendent parfois difficile le cumul de l’église et de l’école, il faudra souvent choisir entre elles. Aux séminaristes qui quittent le service de l’autel pour se vouer tout entiers à l’enseignement, les privilèges du clergé demeureront assurés. Quelques personnes songent à ouvrir la même carrière aux filles du clergé ; il existe à Moscou une confrérie pour en former des institutrices. Les relations de l’église et de l’état excluent en Russie toute crainte d’opposition et de dualisme entre les écoles ecclésiastiques et les laïques. L’unité de direction dans l’enseignement national et l’emploi du clergé dans l’instruction populaire sont aujourd’hui favorisés par l’union sur la même tête des fonctions de haut-procureur du saint-synode et de ministre de l’instruction publique.

Ce n’est pas seulement dans l’école que le clergé doit contribuer à l’instruction du peuple, c’est aussi dans l’église. La participation à l’enseignement scolaire ne lui doit pas faire délaisser son mode propre d’enseignement, la prédication. À ce point de vue, il y a beaucoup à faire dans les pays orthodoxes ; le prêtre y a presque abandonné une de ses plus importantes fonctions : le pope ne prêche point ou prêche peu. L’institution par laquelle le christianisme a peut-être le mieux servi le progrès de la moralité, l’église grecque, qui dans son premier âge eut tant de grands orateurs, l’avait aux derniers siècles laissée tomber en désuétude. Cet abandon n’est pas uniquement imputable à l’ignorance du clergé gréco-russe ou au génie des gouvernemens ; il est en partie la conséquence de l’esprit même de l’église. Tandis que la réforme, appuyée sur le libre examen et l’interprétation individuelle, faisait du prêche la principale fonction ecclésiastique, l’orthodoxie orientale, étroitement attachée à la tradition, laissait ses ministres renoncer à l’exposition de la foi, comme si en la livrant à leurs commentaires elle eût craint de la leur voir défigurer. La chaire, qui, dans le temple protestant, tend à s’emparer de la place de l’autel, est généralement absente des églises orthodoxes. L’Orient, fatigué de ses nombreuses hérésies, finit par prendre en soupçon la parole vivante, la parole originale et libre. L’initiative individuelle, l’inspiration, l’improvisation excita ses défiances dans la parole comme dans l’art, dans la représentation orale de la foi comme dans ses représentations figurées. Ainsi que la peinture, la prédication fut enfermée dans des lignes rigides et mortes. A l’invention, à l’imitation même, l’église préféra