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composé de forces, et cela est vrai des corps comme des esprits. L’essence de la matière n’est pas l’étendue inerte, comme le croyait Descartes, c’est l’action, l’effort, l’énergie. De plus le corps est composé, et le composé suppose le simple. Les forces qui composent le corps sont donc des élémens simples, inétendus, des atomes incorporels. Ainsi l’univers est un vaste dynamisme, un savant système de forces individuelles, harmoniquement liées sous le gouvernement d’une force primordiale, dont l’activité absolue laisse subsister en dehors d’elle l’activité propre des créatures et les dirige sans les absorber.

C’est ce spiritualisme leibnizien, fondé sur la notion de force et de force individuelle, qui a de plus en plus prédominé dans nos écoles pendant les vingt ou trente dernières années, qui a produit de son côté et produit encore, en face d’un jeune idéalisme plus hardi et plus nuageux, des œuvres à la fois fortes et sages, libérales et circonspectes, s’inspirant de l’esprit du temps sans s’y asservir, préparant le retour des esprits aux idées saines sans les violenter. C’est ce courant d’opinions, d’enseignemens, d’écrits, qui lutte depuis vingt ans contre les idées positivistes et sceptiques sans jamais lâcher pied, et qui a réussi, comme nous l’écrivait récemment un des hommes les plus éminens du parti adverse, à conserver au spiritualisme ses positions premières et à se maintenir « sinon victorieux, du moins invaincu. »

Parmi les ouvrages inspirés par la philosophie dynamiste, celui qui nous en présente sous une forme savante et nouvelle l’exposition la plus systématique est le livre de M., Magy, la Science et la Nature ; l’un des meilleurs écrits philosophiques publiés en France depuis dix ans. M. Magy appartient à cette belle école française pour laquelle la clarté, est non pas seulement un ornement, mais un devoir. Sa pensée, large, et nourrie, se développe, avec une suite et une ampleur qui rendent la lecture de son livre aussi facile qu’intéressante, et elle se traduit dans un style noble et grave, auquel on ne peut reprocher qu’un peu trop de solennité et, de ce que les anciens appelaient sermo rotundus. Au lieu de ce byzantinisme obscur et subtil où se complaisent quelques-uns de nos jeunes novateurs dans leur mystico-nihilisme, vous avez affaire ici à une manière mâle, ferme, vraiment classique, dans laquelle la tradition sévère du XVIIe siècle s’unit au souvenir, du noble style de M. Cousin.

Dans le même temps que M. Magy, un autre philosophe distingué, déjà placé au premier rang par ses études sur l’esthétique, M, Charles Lévêque, entrait résolument dans la même voie. Il faisait du dynamisme la base de son enseignement, au Collège de France, en commentant la philosophie de la nature des anciens à