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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 3.djvu/859

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la domesticité, de même que les plantes de nos jardins portent les marques évidentes de la culture ; les naturalistes ne s’y trompent pas. M. Darwin aimerait qu’on s’y trompât afin de s’attribuer le mérite de nous préserver de l’erreur ; cherchant le moyen, il s’est donné une grande peine dont nous allons profiter pour faire ressortir une vérité[1].

En plusieurs endroits de l’Europe, et surtout en Angleterre, des sociétés d’amateurs de pigeons se sont constituées. Il s’agit de garder et de propager les nobles races, d’obtenir des sujets toujours plus remarquables par la taille et par la singularité ou l’éclat du plumage, de produire des variétés nouvelles. L’amateur n’a pas d’autre ambition ; au contraire, M. Darwin, se faisant admettre dans les cercles où l’on discute sur le mérite des volières, se flattait d’atteindre un important résultat scientifique. Dans son attachement à l’idée des transformations indéfinies, le célèbre auteur n’a pu contempler l’étonnante diversité des pigeons domestiques sans croire qu’il tenait l’occasion de montrer de quelle manière, avec du temps et de la patience, se façonnent les espèces. Il s’est mis à l’œuvre et il a produit un ensemble d’observations d’un intérêt très réel. Le travail a reçu beaucoup d’éloges, et c’est à juste titre. On avait désigné par des noms et l’on avait décrit les nombreuses variétés de pigeons de volière et de colombier. M. Darwin s’est efforcé de suivre les transitions, il a croisé les races, et ne se bornant pas, comme la plupart de ses devanciers, à l’examen des particularités extérieures, il a scrupuleusement comparé la charpente osseuse de ces oiseaux que les soins de l’homme ont tant diversifiés. Enfin, contre son gré, et certainement contre son avis, il a mieux que tout autre accumulé des preuves qu’une espèce ne saurait être transformée, qu’on n’arrive qu’à la déguiser. La belle étude du naturaliste anglais se trouve exactement appréciée un siècle avant d’être mise au jour. « Si quelqu’un, a dit Buffon, voulait faire l’histoire complète et la description détaillée des pigeons de volière, ce serait moins l’histoire de la nature que celle de l’art de l’homme. » Cette histoire étant faite, nous devons en recueillir les enseignemens.

Le biset ou pigeon de roche, columba livia de son nom scientifique, est la souche de toutes nos races de pigeons domestiques, ont écrit les zoologistes. A cet égard, M. Darwin n’avait pas d’autre pensée, mais il a eu besoin de plusieurs années d’études pour affermir sa conviction. Il déclare très nombreuses les variétés qui reproduisent fidèlement le type ; on en avait compté 122[2], il en ajoute de nouvelles. A classer tant d’oiseaux qui se touchent par

  1. The variation of Animals and Plants under domestication, 1868.
  2. Boitard et Corbié, les Pigeons de volière et de colombier, Paris 1824.