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rencontre d’une station favorable se fait attendre. Arrive la rencontre, les hypopes abandonnent l’animal qui les portait. Les voilà sur un champignon ; ils se cramponnent avec les griffes, leur peau se fend, et de chaque dépouille sort un tyroglyphe ; la propagation de l’espèce va recommencer[1]. Ainsi des êtres ne se métamorphosant que dans des circonstances déterminées revêtent une forme et acquièrent des aptitudes particulières pour une existence transitoire ; ils vivent pendant un temps sans possibilité de croître et de se reproduire, — le changement ne s’opère qu’en vue de la conservation de l’espèce. En réalité, loin de paraître un indice d’instabilité, le polymorphisme semble un signe de perfection.


III

Les personnes qui s’occupent des qualités de nos animaux domestiques ne comparent guère les races de chevaux et de bœufs, les races de pigeons et de poules, sans jeter un cri de triomphe. On exalte volontiers la puissance de l’homme, qui aurait à son gré produit des aptitudes et varié les types parmi les auxiliaires de la civilisation. Des résultats dus à des soins particuliers sont en effet assez remarquables pour justifier le sentiment d’orgueil, mais on s’abuse parfois sur la nature des changemens que les espèces réduites en esclavage ont éprouvés. Chez les mammifères et les oiseaux que l’homme a soumis, les différences individuelles paraissent énormes, les variétés se distinguent par des signes plus frappans que les caractères de beaucoup d’espèces sauvages, et de l’impression ressentie naît l’idée de modifications profondes. En réalité, les modifications sont moins considérables qu’on ne suppose ; de la plupart des animaux domestiques, seuls les traits superficiels sont affectés, et si l’organisme est fortement atteint, on découvre des anomalies comparables à celles que la culture détermine sur les végétaux. Les aspects deviennent alors multiples, et pour se fier trop aisément à l’apparence, on s’écarte de la juste appréciation des faits. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire[2] et d’autres naturalistes ont cru que les variations dont les animaux domestiques offrent de curieux exemples pouvaient éclairer à l’égard des effets qui dépendent des causes naturelles ; certes elles doivent éclairer, mais c’est à la condition de n’en point méconnaître le caractère. Souvent on a répété que les particularités des races domestiques les désigneraient comme des espèces distinctes, si l’on n’avait assisté à leur formation ; rien de plus inexact. Les animaux de nos domaines portent l’empreinte de

  1. Nous citons ces faits curieux sans presque changer les termes du rapport lu à l’Académie des Sciences sur les recherches de M. Mégnin.
  2. Histoire naturelle générale des règnes organiques, t. III.