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été quelque peu bousculés dans la bagarre. Peu de jours auparavant, à propos de la loi électorale, M. Gambetta prononçait un discours spirituel, sensé, modéré, qui prouvait ce qu’il pourrait être aisément, s’il voulait rester lui-même ; puis le voilà tout à coup se guindant et lançant une de ces paroles qui ne disent rien et ne prouvent rien, qui déchaînent les tempêtes sans profit et sans gloire. M. Gambetta s’est mépris, il n’a fait qu’embarrasser ceux qui jugent l’empire aussi sévèrement que lui, sans se laisser aller à de vulgaires brutalités, et il n’a eu d’autre succès que d’offrir au bonapartisme une occasion de se relever sous l’aiguillon de l’insulte, de répondre aux provocations par des provocations, et de faire du bruit.

Il y a par malheur des momens où l’on perd un peu l’équilibre et où des hommes beaucoup plus modérés que l’ancien dictateur de Bordeaux ne mesurent pas eux-mêmes tout ce qu’ils font. Que M. Gambetta ait eu le tort de prendre l’initiative d’une brutalité de parole qui est devenue le signal d’un véritable déchaînement de fureur contre lui et même de coupables violences, ce n’est point douteux. La tentative parlementaire qui vient d’être faite ces jours derniers pour provoquer de la part de l’assemblée un vote contre le bonapartisme et au besoin contre le ministère soupçonné de montrer trop peu d’énergie contre les menées impérialistes, cette tentative était-elle beaucoup mieux calculée ? Assurément ces scènes tumultueuses de la gare Saint-Lazare, où un député, s’est trouvé un instant arrêté, ces scènes ont dû émouvoir l’assemblée, et elles révèlent les ardeurs d’un parti sur lequel on a justement les yeux, qu’on avait le droit de signaler à la vigilance du gouvernement. Soit ; mais y a-t-on bien réfléchi ? En réalité, rien n’était plus délicat que ce qu’on se proposait de faire. Essayer, sous une forme ou sous l’autre, directement ou indirectement, de raviver le vote de déchéance de l’empire, n’était-ce pas avoir l’air de dire que ce vote avait été insuffisant, qu’il fallait le renouveler ? Si le vote de 1874 a été insuffisant, pourquoi, celui d’aujourd’hui serait-il plus efficace ? La question resterait donc toujours ouverte ? Dans tous les cas, si l’on voulait courir la chance d’un nouveau scrutin, il fallait avant tout s’arranger pour avoir sinon l’unanimité de 1871, du moins une majorité accablante, décisive. On l’a évidemment essayé avant de se présenter devant l’assemblée. Il y a eu des négociations entre les chefs des divers partis de la droite et de la gauche, et un instant c’est M. de Goulard qui a paru être chargé de prendre, au nom de tous, l’initiative de l’interpellation adressée au gouvernement.

Comment cet accord a-t-il été rompu au dernier moment ? Ah ! c’est toujours la même difficulté. On a fini par ne plus s’entendre, à ce qu’il paraît, sur une rédaction, sur la portée d’une manifestation que les uns voulaient restreindre à l’impérialisme, que les autres voulaient étendre aux bonapartistes et aux radicaux. Une partie de la droite et