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une heure de critique, la théorie règne et gouverne. Tous nos efforts se concentrent sur le côté spécifique ; nous creusons la technique et lui demandons le mot de l’avenir : de là cet immense attrait de la musique instrumentale, ce délire symphonique dont semblent possédées les générations nouvelles. Quelle animation autour des salles de concert ! Là seulement s’engagent désormais les discussions, souffle la vie, tandis qu’au théâtre tout est stérile. Nous venons de voir comment finissent les Italiens, l’Opéra ne subsiste que par son répertoire, et l’Opéra-Comique ne sait lui-même où il en est. Plus de genre, plus de troupe, un public qui de jour en jour se désagrège. On dit : Le directeur fait fausse voie, on se plaint de son humeur volontaire et capricante, et cependant ce directeur n’est point un homme incapable ni malintentionné, mais que peuvent les meilleures intentions contre la force d’une situation ? Cette crise que l’Opéra-Comique traverse, le directeur ne l’a point provoquée, il la subit. Je ne nie pas que les moyens employés pour déjouer la mauvaise fortune n’aient leurs inconvéniens ; les honnêtes gens éprouvent un certain embarras à voir ainsi la musique sacrée apparaître soudain sur la scène du Pré aux Clercs et de Monsieur Pantalon. Et quelle musique ? une messe de Requiem, un oratorio où Jésus-Christ en personne concerte pittoresquement avec la Madeleine. Insensiblement la mise en scène s’accentue, espérons qu’au prochain carême on nous donnera les décors et les costumes, et si l’on veut avoir un avant-goût du beau spectacle que cela nous promet, il suffit de regarder certaine estampe affichée à la vitrine de tous les marchands de musique et représentant le ténor Jésus, qui, sous les traits d’un jeune Arabe de Belleville, a l’air de vendre des dattes à Marie-Madeleine déguisée en aimée des Folies-Bergères. Impossible de rien se figurer de plus réjouissant que cette image ; comme signe du temps, c’est impayable. Soyons sérieux ; l’Opéra-Comique déserte peu à peu ses anciens pénates ; l’agréable genre qui fit la joie de nos jeunes années n’a certes pas la moindre envie de quitter ce monde ; nous l’aimons toujours, mais ne le cherchons plus à la même adresse. Cet assemblage de dialogue et de musique, ces chansonnettes et ces airs dansans, tout ce vaudevillisme amusant, spirituel et drôle jusque dans sa sensiblerie, que jadis nous goûtions à Favart, où des artistes tels que Roger, Couderc, Faure, Caroline Lefebvre, nous le donnaient en pleine saveur d’élégance, il nous plaît aujourd’hui d’aller le demander aux scènes secondaires. Plus c’est trivial, frelaté, dégradé, plus cela nous enchante ; la même ineptie musicale qui passerait inaperçue, si elle était proprement et simplement jouée sur un théâtre de genre par un orchestre et des chanteurs qui se respectent, va suffire à notre enthousiasme de plusieurs années, pour peu qu’elle ait à nous offrir un joli assortiment de crincrins et de voix éraillées. On ne discute pas avec le public : qu’il bâille à Molière, disgracie Mozart et proclame un chef-d’œuvre la Fille de Madame Angot, il en est