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celle de ces succès où la loyauté fait défaut ; chaque matin, les journaux vous racontent l’avènement d’un nouvel astre, les grands souvenirs du théâtre et les plus glorieux noms sont mis en avant à cette occasion : dans la Rosine du Barbier, c’est une Sontag, et dans l’Arsace de la Sémiramide c’est quelque chose entre la Pisaroni et la Malibran, si l’on s’en rapporte aux anciens habitués de la maison que naturellement on évoque pour la circonstance. Ainsi alléché, vous voulez en avoir le cœur net, et vous vous trouvez en présence d’une agréable pensionnaire douée d’une jolie voix et se débattant contre les difficultés d’un rôle qui l’écrase. À ce spectacle, déjà pénible, vient s’en joindre un autre plus attristant, je veux parler de ces bancs de l’orchestre déserts, de ces loges vides ou mal habitées, de ces applaudissemens qui sonnent creux et de toute cette nauséabonde pacotille de couronnes et de bouquets dont la scène se jonche à point nommé. À vous en fier aux bruits du dehors, chaque soirée est un nouveau triomphe pour la cantatrice, un bénéfice énorme pour l’administration, et quand arrive la fin de la saison, il se produit ce phénomène étrange, que toutes ces représentations de plus en plus splendides, toutes ces victoires préconisées à miracle, n’ont amené que la défaite. C’est qu’en dernière analyse la publicité, à elle seule, ne peut rien, si le talent, le vrai talent, n’est derrière elle pour l’appuyer de ses efforts : la publicité ne sert qu’à dire aux gens qui passent : Il y a là quelqu’un, prenez-y garde. La publicité ressemble au chant du coq : evocat auroram ; mais quand elle a chanté trois fois, il faut absolument que le jour se lève. Le 9 juillet 1838, Rachel jouait Andromaque devant une recette de 373 francs ; le 6 octobre de la même année, Andromaque avec Rachel faisait 6,296 francs. Entre temps, les journaux avaient parlé, oui sans doute, mais la grande actrice s’était montrée au niveau, sinon au-dessus de leurs éloges. Pour Mlle Bellocca aussi, la presse a parlé, elle a même énormément parlé ; mais cette fois les recettes n’ont pas monté, bien au contraire. Souhaitons que cette fâcheuse expérience ne se renouvelle pas l’hiver prochain. Le Théâtre-Italien n’a plus de raison d’être parmi nous ; d’utilité au point de vue de l’art, il ne nous en offre aucune ; presque tous les grands chanteurs d’aujourd’hui sont cosmopolites, et quant à ce vieux fonds de répertoire, fatigué, fané, hors d’usage, il serait temps de le soustraire aux ricanemens des générations préoccupées d’autres tendances qui, elles aussi, deviendront caduques à leur tour, ni plus ni moins que le cantabile fiorito et la cabaletta con perticchino, car c’est la loi des choses d’ici-bas que la nouveauté qui nous passionne dans le présent devienne infailliblement le rococo de l’avenir.

N’importe, la mélodie continue et la mélopée sont à la mode, profitons-en pendant qu’elles réussissent. L’art ne s’arrête pas, il évolue, il cherche ; que ses fouilles amènent une découverte, en voilà pour un demi-siècle de travaux et de rénovation. L’heure où nous sommes est