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pas de se souvenir de ceux qu’on aimait, comme pour les associer à son émotion. Une Romaine, transportée d’admiration en voyant les pyramides, songe à son frère absent, et grave ces vers sur la pierre : J’ai vu sans toi les pyramides, ô le plus chéri des frères, et tout ce que j’ai pu faire en les voyant, c’est de verser des larmes; puis, fidèle à ton souvenir, j’ai voulu écrire ici cette plainte. » Cet usage touchant se conserva chez les chrétiens, et l’on trouve aux catacombes des inscriptions nombreuses de pèlerins des premiers siècles qui, en priant pour eux, n’oublient pas leurs parens et leurs amis morts ou vivans : « âmes saintes, souvenez-vous de Martianus Severus et de ses frères, — obtenez que Verecundus arrive heureusement au port, — demandez la paix pour mon père. »

Les inscriptions les plus nombreuses et les plus intéressantes sont celles qui couvrent le piédestal de la statue de Memnon. Cette statue était fort célèbre dans l’antiquité, et l’on racontait d’elle des histoires merveilleuses. Dans la plaine de Thèbes, à l’entrée du palais construit par Aménophis, se trouvaient deux colosses entièrement semblables, et qui devaient représenter tous les deux le fondateur de l’édifice. Les Grecs, qui voulaient retrouver partout leur histoire, crurent reconnaître, dans l’un de ces colosses, le héros Memnon, ce fils de l’Aurore dont parle Homère, qui était venu des contrées de l’Orient au secours de Priam et des Troyens. On disait que le matin la statue faisait entendre un son « qui ressemblait à celui d’une corde de lyre ou de cithare. » C’était, sans nul doute, le fils de l’Aurore qui saluait sa mère, et l’on accourait de tous les côtés pour être témoin du prodige. L’émotion des personnes pieuses était, on le comprend, très vive quand elles entendaient ces sons harmonieux. Quelques-uns se mettaient en prières, d’autres offraient des sacrifices ; tous écrivaient sur le piédestal ou sur les jambes du colosse une inscription en prose ou en vers, en grec ou en latin, pour attester la vérité du miracle. Ces inscriptions existent encore aujourd’hui, et elles sont fort curieuses à étudier. Quelques-unes sont l’œuvre de dévots assez obscurs, un greffier, un affranchi, des officiers subalternes; il s’y trouve même un simple soldat, originaire de la Gaule, qui a dû prendre un grand plaisir à la voix de Memnon, car il est venu l’entendre treize fois de suite; mais d’ordinaire les visiteurs sont d’un rang plus élevé. Les préfets de l’Egypte y viennent surtout volontiers avec leurs femmes et leurs enfans, et ils ont soin d’écrire leur nom sur la statue avec la mention du jour où ils ont assisté au miracle. L’un d’eux, qui ne manque pas de vanité, s’exprime en ces termes : « Sous le XIIIe consulat de l’empereur Domitien, T. Petronius Secundus, préfet de l’Egypte, a entendu Memnon à la première heure, la veille des ides