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personnages, tandis qu’il se faisait entendre treize fois pour un soldat. Il a donc fallu chercher ailleurs la cause d’un prodige dont on ne peut pas raisonnablement accuser les prêtres, et, quoiqu’il ait cessé de se produire depuis seize cents ans, on est parvenu à la trouver. On sait que cette découverte est due à notre illustre Letronne, dont le mémoire sur la statue vocale de Memnon est une merveille d’investigation sagace. Il a d’abord établi, contrairement à l’opinion générale, que le miracle n’avait commencé que vers le règne d’Auguste, et qu’il n’en est plus question à partir de l’époque de Septime-Sévère. Quand on le constata pour la première fois, le colosse venait d’être brisé. Un accident inconnu, probablement un tremblement de terre, avait jeté sur le sol le tronc et la tête; c’est alors qu’on s’aperçut qu’il s’échappait le matin comme une sorte de plainte de ces pierres fendues. Ce phénomène curieux a été observé ailleurs : dans les carrières de granit, à Syènes, dans les palais de Karnak et dans les temples de Philes, aux environs de la Maladetta, dans les Pyrénées, et jusque sur les bords de l’Orénoque, on a remarqué que les roches granitiques font quelquefois entendre un craquement sonore au lever du soleil, surtout quand la différence de température entre le jour et la nuit est considérable. On peut voir dans Letronne les explications diverses que les savans ont proposées de ce phénomène; mais ce qui est hors de doute, c’est qu’à Thèbes il ne s’est produit qu’à partir du jour où la statue a été brisée, et l’on peut en conclure qu’il avait besoin qu’elle fût en cet état pour se produire. L’empereur Septime-Sévère ne s’était pas rendu compte de cette nécessité lorsqu’il donna maladroitement l’ordre de la réparer. Letronne suppose qu’il fut égaré par son zèle religieux. Les dévots pensaient, et quelquefois même ils disaient dans leurs inscriptions que, puisque ainsi mutilé Memnon pouvait faire entendre une sorte de murmure, il parlerait beaucoup mieux s’il était complet. Ce fut aussi l’opinion de l’empereur, qui était un païen zélé, et il voulut confondre les incrédules en leur donnant le spectacle d’un dieu de granit qui parlait. Peut-être songeait-il à opposer ce miracle éclatant à ceux dont les chrétiens étaient si fiers et qui attiraient tant de monde à leur doctrine. Pendant que sa femme, l’impératrice Julia Domna, faisait écrire par Philostrate la vie d’Apollonius de Tyane, dont on voulait faire le rival de Jésus-Christ, il pensa que, pour achever de convertir ceux qui hésitaient, il ne serait pas mauvais de les envoyer entendre la voix harmonieuse de Memnon. C’est dans ce dessein qu’il donna l’ordre de réparer le colosse; mais le succès de cette entreprise pieuse fut des plus malheureux. « Les cinq assises d’énormes blocs de grès qu’on éleva sur la partie inférieure pour remplacer la tête et le tronc qui manquaient