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formèrent une sourdine qui arrêta la vibration. » Depuis ce temps, le fils de l’Aurore cessa de saluer sa mère, et perdit la voix pour toujours.


II.

Quand on quittait l’Egypte pour aller en Syrie, il fallait traverser des pays qui étaient alors, comme aujourd’hui, infestés par les incursions des nomades. Les Romains, qui ne souffraient pas que leurs frontières fussent insultées, avaient fait de grands efforts pour les défendre. Il reste quelques débris des châteaux-forts qu’ils avaient élevés sur la limite du désert, et l’on peut lire encore sur leurs ruines les inscriptions que les soldats y gravaient il y a seize siècles, pendant les ennuis de la garnison. « Syriens, dit l’un d’eux, tenez-vous en paix devant les Latins de Rome. » Les Romains étaient aussi fort occupés, en Orient comme partout, à développer le commerce et à lui ouvrir des voies de communication. Quelquefois ils s’étaient contentés de marquer avec de grandes pierres, qui sont restées en place, le chemin des caravanes; le plus souvent ils avaient construit de ces routes indestructibles qui conservent dans tout l’univers le souvenir de leur domination. On les retrouve encore, nous disent les voyageurs, sur les confins de l’Arabie, avec leurs grands blocs de lave solidement enfermés dans un rebord de pierre ; elles sont intactes comme au temps où elles étaient sans cesse parcourues par des troupes de cavaliers, montés sur des chevaux ou des dromadaires, qui se jetaient à la poursuite des fuyards. L’œuvre de Rome sur ces frontières, comme sur celles du Danube et du Rhin, fut de veiller à la sécurité des populations de l’empire, et elle n’y épargna pas sa peine. Elle y employait tantôt la force ouverte, tantôt les négociations et la ruse. Il lui arrivait souvent de prendre des Arabes à sa solde; elle les opposait à leurs compatriotes et détruisait ainsi ses ennemis les uns par les autres. Les Arabes, avec la légèreté ordinaire à leur race, changeaient sans cesse de parti. On les voyait, tour à tour ennemis ou alliés de l’empire, détrousser les voyageurs ou les protéger. Il y en eut qui se poussèrent dans les légions et arrivèrent aux premiers grades : l’un d’eux finit même par devenir empereur. C’était Philippe, le meurtrier et le successeur de Gordien, qui avait pour père un brigand fameux dans le pays. Quand il fut arrivé à l’empire, il fit construire chez lui une ville qui porta son nom et dont on a retrouvé les débris. Dans cette ville, où sa mémoire, comme on pense, était fort honorée, on rendit de grands honneurs à tous les siens; son père même ne fut pas excepté, et, selon l’étiquette impériale, l’ancien voleur devint un dieu.