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même les plus élevées, s’ouvrait de plus en plus aux provinciaux; enfin, sous Caracalla, la qualité de citoyen romain fut étendue à tous les hommes libres de l’empire. C’est sous les Antonins que le système fonctionna dans sa perfection, et leur règne fut en général une époque de paix et de prospérité pour le monde civilisé ; après eux, le déclin commença, mais il fallut bien des secousses, bien des bouleversemens, pour détruire la savante machine administrative que le despotisme intelligent d’Auguste avait créée. »

Quand on parcourt, comme nous le faisons en ce moment, les riches contrées de l’Asie, qu’on relit ces inscriptions où se retrouvent tant de témoignages de leur opulence, il est bien difficile de ne pas partager l’opinion de M. Waddington. Elle n’est pas pourtant acceptée de tout le monde; beaucoup refusent obstinément de croire que le sort des provinces ait été heureux sous l’empire, et leur principale raison pour le nier, c’est qu’ils ne veulent pas qu’il ait pu sortir quelque chose de bon d’un régime qu’ils détestent. Ce régime en effet ne mérite guère d’être aimé ; mais, quelque répugnance qu’il soulève, souvenons-nous qu’il a duré cinq siècles et que, pour comprendre qu’il ait vécu si longtemps, il faut bien admettre qu’avec beaucoup de défauts il avait quelques qualités. La principale était assurément de bien administrer les provinces. Elles lui en étaient très reconnaissantes, et lui demeurèrent toujours fidèles : aussi n’est-ce pas par des convulsions intérieures qu’il a péri. Juvénal, dans une de ses plus éloquentes déclamations, semblait lui prédire ce sort, mais il y a échappé, et il a fallu, pour le détruire, une invasion d’étrangers. Les peuples soumis à sa domination, loin d’accueillir les barbares comme des libérateurs, les ont combattus de toutes leurs forces, et ce n’est qu’avec désespoir qu’ils se sont séparés à la fin de Rome et de l’empire. Cette fidélité pourrait-elle se comprendre, s’ils avaient eu à se plaindre autant qu’on le prétend du gouvernement impérial ?

Il est naturel que l’empire ait tenu à les bien gouverner; son principe même lui en faisait un devoir. L’aristocratie républicaine de Rome, qui avait coutume d’acheter les honneurs par des prodigalités insensées, était bien forcée de trouver quelque moyen de suffire à ces dépenses. Elle aurait été vite ruinée, si elle n’avait eu l’administration des provinces pour se refaire; c’était donc une nécessité pour elle de s’y enrichir, et il lui était difficile de s’y enrichir sans les piller. Du reste les proconsuls pouvaient le faire sans danger : au retour de leur gouvernement, ils n’avaient à répondre de leurs actions que devant des complices, et d’ordinaire ceux qui étaient appelés à les juger s’étaient conduits comme eux. Ils le faisaient surtout sans scrupule : la conquête était récente ; on se souvenait