Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/127

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que ces sujets avaient été longtemps des ennemis, et qu’il en avait coûté beaucoup de peine et de sang pour les soumettre. On les traitait en vaincus, sur lesquels on peut tout se permettre et qui doivent tout supporter. Les choses changèrent entièrement avec l’empire. Quand le pouvoir fut aux mains d’un seul homme, cet homme eut un intérêt direct à défendre les provinces contre les exactions des gouverneurs. C’était son bien, et ceux qui se permettaient de piller ses sujets le volaient lui-même. En les protégeant, il songeait à lui plus qu’à eux, et il était naturel qu’il ne souffrît pas qu’un argent qui lui appartenait entrât dans d’autres coffres que les siens. A la vérité, rien ne l’empêchait de faire lui-même ce qu’il défendait aux autres, et de s’emparer, quand il en avait besoin, de la fortune des provinciaux ; il semble d’abord que le résultat était le même pour les administrés, et que les provinces ne gagnaient rien à être délivrées des exactions des proconsuls, si elles restaient exposées à celles des princes. C’était pourtant quelque chose de n’avoir plus qu’un maître à contenter. Sous la république, les proconsuls se renouvelaient tous les ans. Il en arrivait un chaque année avec un appétit nouveau, et il était d’autant plus insatiable qu’il n’avait qu’un temps très court pour se rassasier. Le maître unique, comptant durer, était moins pressé de tout prendre, et, quelque affamé qu’il pût être, la sagesse, quand il était sage, lui conseillait de garder quelque ressource pour le lendemain. C’est d’ailleurs l’usage partout que le propriétaire ménage le sol, tandis que le fermier l’épuisé. L’empire avait encore une autre raison de bien traiter les provinces, c’est qu’avec le temps des changemens étaient survenus dans la manière dont on considérait à Rome les pays vaincus. A mesure que s’éloignaient les souvenirs irritans de la conquête, que ces pays devenaient plus romains d’habitudes et de relations, on se faisait plus de scrupule de les malmener. Depuis que cette aristocratie superbe, qui avait si longtemps dominé le monde, était soumise à un maître, la condition de Rome et des provinces tendait à se rapprocher. Partout on était forcé d’obéir, et le souverain imposait à tous la même loi. Devant cette autorité sans limites, que tout le monde sentait au-dessus de soi, les inégalités anciennes s’effaçaient. Le pouvoir absolu est de sa nature un grand niveleur; il ne veut avoir que des sujets, et, de la hauteur d’où il les regarde, il est assez disposé à les confondre. Un éloquent pamphlétaire disait sous Louis XIV : « Dans le gouvernement présent, tout est peuple, l’autorité royale est montée si haut que toutes les distinctions disparaissent, toutes les lumières sont absorbées, car, dans l’élévation où s’est porté le monarque, tous les humains ne sont plus que la poussière de ses pieds. » Les institutions d’Auguste eurent des résultats