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et l’on y est plus sincère qu’ailleurs quand on le met, mort ou vivant, parmi les immortels, qu’on appelle ses statues des images sacrées, et sa famille une maison divine (in honorem domus divinœ). Ce n’est pas qu’il n’y ait eu quelquefois des révoltes dans les armées romaines, mais en général on ne s’y mutinait pas contre le prince; on voulait seulement obtenir quelque adoucissement aux rigueurs du service ou se délivrer d’un centurion qu’on n’aimait pas. Les centurions étaient ordinairement détestés, et nous voyons qu’on leur donnait des surnoms cruels. Comme les nécessités de l’avancement les faisaient passer d’une légion à l’autre, il arrivait souvent qu’ils étaient étrangers à ceux qu’ils devaient commander. De mauvaises habitudes qui s’étaient établies dans les camps contribuaient à les rendre odieux. On permettait aux soldats fatigués ou enrichis d’acheter de leurs chefs des exemptions de corvées. On fermait les yeux quand ils payaient pour obtenir la levée d’une punition. Ces tolérances engendraient beaucoup d’abus, et l’on comprend que les centurions avides fussent tentés d’augmenter sans fin les punitions et les corvées pour accroître ainsi leurs revenus. Quand le mal était au comble, les soldats ne le supportaient plus et se révoltaient. Tacite a raconté une de ces insurrections qui éclata parmi les légions de Pannonie à l’avènement de Tibère, et son récit contient des détails qui nous surprennent beaucoup. Nous sommes fort étonnés de voir qu’on parlemente avec les révoltés, qu’on leur permette d’exposer leurs griefs et d’envoyer leurs délégués à l’empereur : ces complaisances et ces faiblesses ne nous semblent guère compatibles avec ce qu’on nous dit de la discipline romaine; mais il faut savoir que cette discipline, quoique assurément fort rude, avait pourtant quelque chose de moins formaliste et de moins raide que dans nos armées modernes. L’obéissance y semblait non pas imposée par la contrainte, mais acceptée volontairement des soldats parce qu’ils en sentaient la nécessité. Ils étaient les premiers à réprimer les séditions qui naissaient parmi eux et le faisaient sans pitié; après l’une de ces révoltes, à laquelle tous avaient pris part, ils vinrent demander comme une faveur à être décimés. Quoiqu’on les tint sévèrement, on leur laissait quelquefois le droit de se réunir et de délibérer. Ils entendaient surtout être traités avec égard. Dans les plus beaux temps de la république, un général s’étant servi en leur parlant d’un de ces mots qu’on n’adressait qu’aux esclaves, ils se laissèrent vaincre pour ne pas lui fournir l’occasion d’un triomphe. Ils se regardèrent comme outragés, sous l’empire, quand Claude leur fit porter ses ordres par l’un de ses plus puissans affranchis, et se permirent sans scrupule de siffler le favori de leur maître, devant lequel le sénat se prosternait. Ils accomplissaient