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sans murmurer les ordres de leurs chefs, mais ils aimaient aussi à connaître leurs intentions, et les généraux, quand c’était possible, les entretenaient volontiers de leurs desseins. Cette confiance et ces égards qu’on leur témoignait étaient encore une tradition de l’époque républicaine. Dans les premiers temps, le soldat restait citoyen sous la tente; la vie civile et la vie militaire n’étaient pas si rigoureusement séparées qu’aujourd’hui ; le camp et le forum semblaient souvent se confondre, et le consul s’adressait aux légions comme il aurait fait au peuple du haut des rostres. Sous l’empire aussi, il y avait une tribune dans le camp, et les empereurs regardaient comme une de leurs principales attributions celle de parler à leurs soldats. Sur les bas-reliefs de la colonne trajane, le prince est représenté plus d’une fois entouré des drapeaux et haranguant ses troupes, qui paraissent l’écouter avec enthousiasme. On a retrouvé dans l’un des camps de Lambèse une grande inscription qui contient les fragmens d’une harangue d’Hadrien aux cavaliers de ses cohortes de Comagène; il les félicite de la rapidité et de la précision avec laquelle ils ont accompli leurs exercices. « Un ouvrage, leur dit-il, qui aurait demandé plusieurs journées à d’autres, vous l’avez achevé en un seul jour. Ayant reçu l’ordre d’élever un mur solide, comme ceux des camps sédentaires, vous n’avez pas mis plus de temps à le construire que s’il avait été fait avec des carrés de gazon, qui sont légers, commodes à transporter, et qui, étant tous de forme semblable, peuvent aisément s’adapter ensemble, tandis que les pierres qu’il vous fallait manier étaient lourdes, énormes, inégales et difficiles à placer. Vous avez creusé un fossé dans une terre dure, résistante, et à force de travail vous avez rendu la terre égale et unie. Puis, quand vos chefs ont eu approuvé votre ouvrage, revenus au camp en toute hâte, vous avez pris rapidement votre repas, et, vous précipitant sur vos armes, vous avez couru avec de grands cris à la poursuite de cavaliers qu’on avait fait sortir et les avez ramenés avec vous. Je félicite mon légat, votre général, de vous avoir enseigné ces manœuvres, qui sont une image des combats, et de vous y avoir exercé de manière à vous rendre dignes de mes éloges. » Cet ordre du jour oratoire, dont je ne cite qu’une partie, est très curieux; il nous fail savoir avec quel soin et quels ménagemens on s’adressait aux soldats, et le goût qu’on avait pour l’éloquence dans l’armée romaine.

L’armée était donc une école d’obéissance, mais non de servilité; elle enseignait la discipline en maintenant l’énergie et la fierté des caractères : aussi a-t-elle fourni à l’empire ses meilleurs serviteurs. Je ne parle pas seulement des grands généraux qui arrêtaient les Germains et les Parthes, qui, sous les princes les plus médiocres,